De prime abord, Rousseau entreprend de montrer comment l'idée d'un "droit" du plus fort a pu voir le jour. Ainsi l'auteur choisit-il d'attirer l'attention sur les origines de l'invention de cette expression. Ce faisant, il se garde donc de la considérer comme avérée mais la fait d'emblée apparaître comme une simple construction langagière. Plus précisément, elle résulterait (l.2 : "de là") de l'ambition personnelle du plus fort qui verrait dans le travestissement de la force en droit un moyen de conserver plus longtemps son pouvoir, c'est-à-dire d'asseoir sa puissance. Comme l'indique Rousseau, l'avènement d'un droit du plus fort s'explique par la volonté individuelle (celle du "maître") d'un pouvoir absolu et permanent. Cette volonté, en effet, ne peut être satisfaite par la seule domination naturelle qui demeure nécessairement instable. Le contraste entre cette volonté et la réalité naturelle est d'ailleurs bien marqué par l'opposition des adverbes "jamais" et "toujours" dès la première ligne du texte. Il est clair que rien ne prémunit le plus fort de rencontrer un jour plus fort que lui. Or, pour faire cesser cette menace perpétuelle, un stratagème s'offre à celui qui domine : rendre légitime sa position de dominé en prétendant avoir un véritable droit sur le plus faible, et faire ainsi assumer au dominé un devoir envers lui. En ce sens, notons que le droit du plus fort fonde en droit une relation de domination qui n'existait que de fait. Le dominant (qui n'est que le maître du moment) souhaite s'instituer comme tel et reléguer le dominé au rang d'esclave. Ici, Rousseau met explicitement l'accent sur un glissement entre une réalité de fait et une réalité politique, censée être fondée en droit. Or, rien ne semble venir justifier objectivement un tel glissement. La suprématie du plus fort nécessite en effet une transformation ("transforme" l.2) décrite dans les termes d'un déguisement ou d'un travestissement. C'est ce que l'auteur souligne en insistant sur le caractère ironique ("ironiquement" l.3) et superficiel ("en apparence" l.3) de la transformation de la force en droit et de l'obéissance en devoir. Dès le début du texte, on note donc la distinction appuyée de Rousseau entre des termes neutres qui renvoient à une réalité purement physique ("force" et "obéissance") et des termes chargés axiologiquement ("droit" et "devoir") qui renvoient à une réalité morale et politique. Ce qui est réellement établi en principe n'est donc qu'un faux-semblant de droit, ou un "prétendu" droit comme le déclare l'auteur au début du paragraphe suivant (...)
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture