Comment expliquer la vie ? Ce phénomène étonnant, que l'on observe chez certains êtres et non dans d'autres, a nourri l'idée d'une intervention divine, c'est-à-dire extérieure au monde sensible, qui animerait des individus en leur donnant une âme propre à leur faire manifester une activité. Cependant, cette hypothèse rencontre des difficultés : la vie viendrait de nulle part, apparaîtrait brusquement, sans qu'on puisse en déterminer rationnellement l'origine. C'est pourquoi Diderot, dans Le Rêve de d'Alembert, s'efforce de définir le principe de vie, de façon à ce qu'il soit saisissable autrement qu'en faisant appel à la métaphysique. Ce qui pose problème est alors la question de la sensibilité : elle ne peut apparaître ex-nihilo, et pour la penser, il faut admettre qu'elle se trouve partout, qu'elle est même une qualité essentielle de la matière.
Dans cet extrait, d'Alembert, en proie à ce qui est un délire pour Mlle de Lespinasse, soutient en réalité une thèse construite et rationnelle pour le médecin Bordeu qui l'écoute rêver. D'Alembert en arrive à accorder la qualité d'individu uniquement à la masse générale, donc à la nature, puisqu'on ne peut tolérer une rupture sans rencontrer de contradictions, ce qui implique une redéfinition des concepts admis sur un fondement faux. On verra comment la vie doit être pensée autrement pour que s'expliquent rationnellement certains phénomènes (...)
[...] Ce sont en réalité des tendances qui tendent vers un même point au sein de la masse générale, c'est-à-dire qui tendent vers un aboutissement commun, une disparition commune liée à l'évolution de leurs conditions de vie. Les espèces passent car elles sont des accidents, soumises aux conditions naturelles, et non créées par un dieu. Et la vie ? . La vie . ? Une suite d'actions et de réactions . : gradation car on s'intéresse à l'analyse d'un concept encore plus global. La vie n'est pas un concept mystique, expliqué par une âme dont on ne peut déterminer l'origine. [...]
[...] Mais quand vous donnerez le nom d'individu à cette partie du tout, c'est par un concept aussi faux que si, dans un oiseau, vous donniez le nom d'individu à l'aile, à une plume de l'aile . : cette analogie vient expliciter la précédente. L'aile d'un oiseau n'est pas un individu car elle est une partie inhérente à l'oiseau, et une plume n'est pas un individu car elle est une partie de l'aile qui est elle même une partie de l'oiseau. C'est-à-dire que l'aile n'est rien indépendamment de l'oiseau, elle n'a pas de vie propre. [...]
[...] : incompréhension de d'Alembert qui souligne le caractère absurde de l'individualité. Un individu est une unité organisée, un être qui a une unité distincte de celle des autres êtres. Puisque l'organisation est inhérente au tout que forme la matière, il ne peut exister d'entité organisée indépendamment du reste du monde, qui comporterait son principe vital en elle-même et ne dépendrait de rien. Si un élément est disjoint du tout auquel il participe, il ne peut vivre, il n'est par conséquent pas un individu mais rien : Il n'y en a point. [...]
[...] Celle-ci ne peut connaître de rupture telle que l'implique la mort au sens où on l'entend. Naître, vivre et passer, c'est changer de formes : ce que l'on appelle naissance, vie et mort ne tient donc plus. La sensibilité est une qualité essentielle de la matière, qu'elle soit inerte ou active, et il ne s'agit que d'un changement de formes de manifestation de cette sensibilité. Car acquérir ou perdre cette sensibilité impliquerait qu'elle n'est pas essentielle à l'existence du tout, puisque certaines de ces parties pourraient s'en dispenser. [...]
[...] L'expression pauvres philosophes vient souligner le caractère de grandeur que le philosophe cherche à accorder à l'humanité, quand bien même la réalité est moins extraordinaire. Voyez la masse générale ; ou si pour l'embrasser vous avez l'imagination trop étroite, voyez votre première origine et votre fin dernière . : au lieu de penser en termes d'essences, il faut envisager la masse générale, c'est-à-dire le tout. Puisque tout être participe de cette masse générale, il n'a pas d'essence. D'Alembert souligne là ce qui fait obstacle à l'idée de l'être comme partie d'un tout, dans l'imaginaire commun : c'est l'immensité de cette grande organisation, alors que la mesure des choses à notre échelle nous pousse à les saisir autrement que ce qu'elles sont. [...]
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