Comprendre la nature humaine reste difficile pour l'homme lui-même, parce qu'il est sujet et l'objet de sa propre analyse. Pourtant, se comprendre, ce serait pouvoir saisir l'essence même de l'homme à ce point qu'apparaîtrait la nature originelle de la condition humaine.
Rousseau pose dès la préface de son « Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité » la nécessité d'isoler la nature de l'homme comme condition de possibilité de toute explication des inégalités observées, qu'elles soient sociales ou politiques.
Plus précisément, Rousseau subordonne la recherche politique à la démarche anthropologique : « comment connaître la source de l'inégalité parmi les hommes, si l'on ne commence par les hommes eux-mêmes ? ». Il s'agit donc d'analyser le chemin qui a conduit les hommes à devenir ce qu'ils sont. Pourtant, et c'est l'aspect aporétique de sa démarche, plus l'homme cherche à étudier sa nature, plus il s'éloigne de la possibilité de se connaître...
Cette réflexion connaît 2 moments :
le premier (début primitif), dans lequel Rousseau expose le recours nécessaire à une démarche anthropologique ;
le second (semblable fin), dans lequel Rousseau distingue « l'homme de l'homme » de « l'homme de la nature ».
[...] Telle est la question cruciale que pose d'emblée l'exigence d'une démarche qui se veut impartiale, d'un projet qui se veut scientifique. Mais plus encore, on connaît la sensibilité de Rousseau et son souci de servir l'humanité : être celui qui révèle à l'humanité le visage véritable de l'homme originel. Désormais, (à partir de la ligne Rousseau décrit la méthode qui lui permettra de restituer le visage de l'homme tel que Dieu l'avait conçu. Cette méthode trouve son origine chez Platon : il s'agit de la dichotomie. [...]
[...] Si la tâche de Rousseau est à ce point délicate, c'est que la perversion est vraiment avancée et que les causes de cette corruption se reproduisent sans cesse entre elles. C'est la raison pour laquelle l'âme humaine devient presque méconnaissable (ligne 19-20). Ici, rousseau va préciser les causes les plus sensibles, celles qui ont affecté l'âme humaine au point de la rendre semblable à une bête féroce. Les erreurs, mais les connaissances aussi, les changements du corps, mais le choc des passions aussi sont ici évoquées comme autant de causes qui ont abîmé l'homme originel. On comprend que l'homme, manipulé par ses passions, finisse par sombrer dans la corruption. [...]
[...] Pourtant, il n'en est rien : les progrès de la technique ont entraîné une spécialisation des connaissances et une division des tâches. Les progrès sont indiscutables matériellement et pourtant condamnables moralement dès lors qu'ils sont au service de la décadence. Outre cet aspect paradoxal du progrès, Rousseau insiste sur l'ultime paradoxe qui vient achever cet extrait de sa Préface. Plus l'homme cherche à additionner les connaissances éparses et diverses sur l'homme, celle qu'une démarche introspective pourrait révéler. L'introspection est à privilégier au regard de l'érudition. [...]
[...] On comprend désormais pourquoi Rousseau ne reste pas insensible à cette décadence : l'adjectif cruel »(ligne 24) donne une dimension à la fois pathétique et culpabilisante à cette description. A qui incombe la responsabilité de cette décadence si ce n'est à l'homme lui-même ? L'homme semble être visiblement inconscient de l'état dans lequel il a mis sa propre nature. A ce point que la condition humaine devient paradoxale : les progrès de l'espèce humaine l'éloigne de son état primitif Cet état de fait ne serait pas condamnable si les progrès étaient au service d'une humanisation de l'homme, d'une amélioration de sa condition. [...]
[...] On comprend désormais la logique de la méthode anthropologique de Rousseau : il s'agit de mettre à nu l'homme originel, c'est-à-dire de gommer ce que la société est venue modifier. Cette première page de la Préface de Discours sur l'inégalité marque un double tournant dans l'histoire de la pensée humaine. Rousseau est à juste titre reconnu comme le fondateur de l'anthropologie. Mais plus encore, parce qu'il privilégie l'introspection et perce qu'il choisit d'écouter les élans de sa sensibilité, Rousseau sera considéré comme le véritable fondateur du romantisme. En un mot, cette page est rentrée dans l'Histoire de la pensée en général et dans celle de la philosophie en particulier. [...]
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