Ménandre, poète grec du IVème siècle avant J.-C, dit : « Mieux vaut se taire que parler pour ne rien dire ». Comment peut-il affirmer ceci ? Est-il vraiment possible de parler pour ne rien dire ?
Notons déjà le caractère ambigu de la question car quand on parle, quand on s'exprime de quelque manière que ce soit (par la parole, l'écrit, le langage des signes ou par l'art), on le fait dans le but d'expliquer, de montrer quelque chose ou simplement de communiquer avec quelqu'un. C'est pourquoi « ne rien dire » prend ici trois sens différents. Le premier est « ne véhiculer aucune signification quelle qu'elle soit ». Le second « ne rien dire d'important ou de pertinent ». Et le dernier « ne pas transférer une information ». Ce « rien » fait alors référence à d'autres fonctions de la communication comme la fonction phatique, poétique (dans laquelle la forme compte plus que le contenu) ou performative. Aussi, ne faut-il pas aller au-delà des apparences et essayer de déceler un sens à des paroles qui semblent anodines, vides de sens ou sans importance ? Une parole sans importance est-elle pour autant dépourvue de signification ?
Nous verrons en quoi il est possible de parler pour ne rien dire puis nous montrerons que chaque parole, même dans sa fonction phatique, peut prendre une signification propre.
[...] On parle alors pour ne rien dire si on affirme par exemple que deux droites parallèles ont une intersection. On pourrait ajouter à ces jugements contradictoires comme illustrations de ce discours vide les tautologies, c'est-à-dire lorsqu'on explique le même par le même. Certains raisonnements sont contradictoires, ou plutôt absurdes, car ils ne respectent pas les règles de la validité formelles telles qu'elles sont précisées par exemple par la Logique de Port-Royal ; ainsi le syllogisme suivant : quelques hommes sont cultivés, or les politiciens sont quelques hommes, donc les politiciens sont cultivés n'est pas valide car il ne respecte pas les première et sixième règles de Port-Royal : le moyen terme doit au moins une fois être universel. [...]
[...] Les deux autres n'ont pas de fonction informative. Il s'agit de la fonction phatique qui met en œuvre des formules de politesse, des banalités de la vie quotidienne qui constituent bien des paroles vides, et la fonction poétique qui consiste dans un jeu gratuit sur les mots en tant que sonorités pures. Ainsi, parler peut consister à créer des formes. C'est la fonction esthétique (créer un univers poétique). La forme du message est alors plus importante que le contenu du message. [...]
[...] L'analyste écoute silencieusement le flot de paroles, en repère justement les lacunes ou les incohérences et donne alors un sens à ce qui paraissait ne pas en avoir. Ainsi, même s'il peut arriver de parler pour ne rien dire lorsqu'on émet, par exemple, une proposition contradictoire, il est bien difficile de parler pour ne rien dire car nos lapsus, de nos omissions peuvent être interprétés et ont un sens profond. Ensuite, nous voyons que même nos silences ont parfois plus de signification qu'un long discours. Alors, si ne pas parler prend un sens, il semble ardu d'affirmer que l'on peut parler pour ne rien dire. [...]
[...] Même dans la fonction purement phatique, le mot allô ? teste le canal tout en voulant dire «m'entendez- vous ? De même un poème surréaliste contient aussi un dire implicite, il exprime une certaine conception de la beauté, de l'harmonie sonore, ou sans doute aussi une intention de révolte contre la raison et ses règles, un effort pour promouvoir le rêve et toutes les formes de "surréalité". On dit parfois quelque chose quand on croit parler pour ne rien dire, on énonce, malgré soi, un petit rien insignifiant en apparence, mais qui a pourtant un contenu, un sens. [...]
[...] Une parole sans importance est-elle pour autant dépourvue de signification ? Nous verrons en quoi il est possible de parler pour ne rien dire puis nous montrerons que chaque parole, même dans sa fonction phatique, peut prendre une signification propre. I. On peut parler pour ne rien dire Avant tout, on peut apercevoir dans un jargon (le jargon juridique par exemple) un exemple du langage vide qui caractérise peut-être aussi certains discours politiques ou électoraux, dont les termes sont tellement vagues ou ambigus qu'ils ne veulent pas dire grand-chose. [...]
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