En 1886, Nietzsche écrit Par-delà Bien et Mal (Prélude à une Philosophie de l'Avenir), œuvre qui marque pour lui un tournant dans le mode d'expression et la maîtrise d'un nouveau langage. Le philosophe allemand y dénonce le dogmatisme de la philosophie traditionnelle et place les pulsions non conscientes, principes de la volonté de puissance, au cœur de la psychologie et de la connaissance du sujet et du monde. Le paragraphe 36, à la fin de la seconde section intitulée ''l'esprit libre'' présente un intérêt particulier dans la mesure où il reprend l'ensemble des principes d'interprétation de la réalité que l'auteur a développé au début de l'oeuvre. Nietzsche y émet ainsi l'hypothèse selon laquelle l'ensemble de la réalité peut s'interpréter intégralement comme volonté de puissance. Il propose en effet de placer au fondement de la réalité (la réalité dite organique et non organique) les pulsions.
[...] Il semble que non, selon le philosophe allemand. Les philosophies qui portent en elles l'héritage scientifique occidental évoqué précédemment et l'héritage métaphysique ne peuvent être des interprétations satisfaisantes. Ainsi, c'est la dialectique hégélienne qui est visée, c'est- à-dire le fait de penser toujours en système de deux opposés, de simplifier, de radicaliser (selon le modèle classique métaphysique) pour interpréter le réel. C'est également les philosophies qui doutent de l'existence du réel en dehors du sujet qui sont visées : non seulement Descartes et son doute méthodique, qui place le sujet au centre du monde et l'âme supérieure au corps, mais également Schopenhauer, pour lequel le monde est volonté et représentation, et Berkeley, qui pense que le monde n'existe pas sans sujet pour le percevoir. [...]
[...] Deuxièmement, l'interprétation de l'ensemble de la réalité proposée par les sciences dites naturelles (ou dures telles que la biologie ou les sciences physiques ne peut non plus être valable. Nietzsche cherche à mettre un terme d'une part au dualisme instauré par ces sciences (et par la philosophie antique, notamment par Aristote) entre les êtres vivants et les êtres non vivants, d'autre part, à la croyance d'un déterminisme dans le cas des choses matérielles. Les physiologistes tracent en effet une frontière radicale entre les organismes et la matière inerte non vivante : c'est la pulsion d'autoconservation qui existe chez les premiers et non chez les seconds qui serait au principe de la différence. [...]
[...] De plus, l'existence de plusieurs causalités est mise en cause dans ce paragraphe, étant donné que la première la causalité de la volonté n'est même pas étudiée jusqu'au bout. En abolissant les frontières arbitraires entre vivant et non-vivant, entre matière et pensée, Nietzsche refuse toutefois le matérialisme de type mécaniste et le vitalisme. Mais les sciences sont selon Nietzsche de qualité inférieure à la philosophie. Les philosophies plus récentes proposent-elles d'interpréter la réalité de façon plus convaincante que la philosophie antique et que les sciences naturelles ? [...]
[...] En d'autres termes, la réalité n'existe pas indépendamment du sujet qui la pense ; le chercheur fait partie de la réalité qu'il étudie et doit donc prendre en compte le fait que de multiples interprétations sont possibles, selon le contexte dans lequel le chercheur vit. Le schéma selon lequel il faudrait interpréter la réalité doit reposer sur un monde conçu comme les apparences elles-mêmes. L'hypothèse qu'il faut poser sera fondée sur l'idée que notre monde des affects est autosuffisant. En posant cette hypothèse, Nietzsche se pose comme objectif de descendre dans les profondeurs de la réalité de nos désirs et passions. [...]
[...] Nietzsche remarque toutefois qu'il ne s'agit là que d'une hypothèse plutôt que d'une révolution, et espère être le précurseur d'une méthode de compréhension du réel. En plaçant les pulsions à l'origine de notre pensée, il ouvre ainsi le champ à la psychologie, et plus particulièrement la psychanalyse freudienne et jungienne. Cette dernière étant qualifiée de psychologie des profondeurs il semble que l'objectif de Nietzsche, en tant que philosophe courageux à la recherche d'une compréhension juste du réel, qui n'a pas peur des profondeurs des eaux froides, soit atteint. [...]
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