« La philosophie cartésienne est comme l'antichambre de la vérité. On se prive de la véritable connaissance du fondement des choses quand on y reste » écrit Leibniz. Il n'est pas étonnant que ses critiques aient porté sur ce qui apparaissait pour Descartes comme le critère de la vérité : l'évidence.
La mise en question par Leibniz de l'évidence cartésienne conduit à s'interroger sur la valeur, les limites d'une évidence critère de vérité.
Dans les Méditations, nous voyons naître l'évidence du doute méthodique, œuvre de la liberté; elle surgit de l'échec du doute poussé à son comble et constitue une expérience vécue par le sujet pensant, expérience du lien nécessaire qui existe entre le fait de penser et l'existence. Le cogito nous donne donc la première vérité, et la manière dont il est saisi va servir de règle au discernement du vrai; la perception de ce que je connais devra être claire et distincte. Évident est donc synonyme de clair et de distinct, et toute évidence est expérience de toute certitude garante de vérité. Chez Descartes il nous faut observer que sont constamment liées la certitude, l'évidence et la vérité.
[...] En effet, nous n'avons pas d'évidence de l'existence des corps. Ce dont nous avons des idées claires et distinctes que donne l'entendement pur, nous avons une connaissance vraie, à l'échelle humaine, mais que nous importe si cette vérité n'est pas vérité absolue dont nous n'aurons jamais conscience. Mais nous supposons une croyance ou une persuasion si ferme qu'elle ne puisse être ôtée. Croyance, certitude, qui sont des états du sujet, sont donc pour Descartes critères de vérité. Nous reconnaissons une vérité à la certitude qu'une clarté fait naître en nous, car nous ne pouvons nous empêcher d'estimer vraies les vérités pendant que nous les concevons clairement : De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. [...]
[...] Il y a donc, nous le voyons, une différence entre l'évidence cartésienne et l'évidence formelle de Leibniz. Chez Descartes, la vision, l'intuition est bien intuition d'une nature, d'une idée. Chez Leibniz par contre, elle est réflexion sur un acte de pensée, sur une forme dont nous saisissons la validité en tant que forme. Si ce n'est plus une évidence du contenu, c'est tout de même une évidence de la valeur de l'acte (cf. : Nouveaux essais sur l'entendement humain livre IV, chap 10). [...]
[...] Le critère de l'évidence demeure peu satisfaisant pour Gassendi (comme il le sera pour Leibniz). Descartes réplique que, si peu satisfaisant soit-il, il n'est pas possible de s'en passer car il faut néanmoins que ce soit nos perceptions qui nous enseignent la validité du critère auquel nous voulons nous fier. Quels que soient les dangers de prendre l'évidence comme critère, c'est la seule qui convienne à l'esprit humain dans la mesure où il faut bien en venir à une expérience de la vérité, et cette expérience ne peut être que nôtre. [...]
[...] (cinquième objection faite par Gassendi); ce à quoi Descartes répond : . Enfin, ce que vous ajoutez, qu'il ne faut pas tant se travailler à confirmer la vérité de cette règle qu'à donner une bonne méthode pour connaître si nous nous trompons ou non lorsque nous pensons concevoir clairement quelque chose, est très véritable; mais aussi je maintiens l'avoir fait exactement en son lieu, premièrement en ôtant les préjugés, puis après en expliquant toutes les principales idées, et enfin en distinguant les claires et distinctes de celles qui sont obscures et confuses. [...]
[...] Pourquoi Leibniz a-t-il si violemment critiqué l'évidence cartésienne? La manière même dont Descartes fait de l'évidence une vision de l'idée heurte sa conception de la raison et ses options fondamentales. Nous ne pouvons pas ne pas avoir recours au principe de non contradiction quand nous n'avons pas du tout en notre esprit l'idée du cercle et du triangle telle que nous puissions la saisir par intuition. Dieu seul est esprit intuitif, et notre esprit discursif ne peut saisir d'une seule vue, directement, l'idée du cercle telle que Dieu peut la saisir. [...]
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