Nietzsche publie Par-delà bien et mal en 1886 et sous ce titre nous lisons Prélude d'une philosophie de l'avenir. Par là l'auteur semble nous laisser entrevoir que le dépassement de la morale auquel il nous convie ne sera pas pour la philosophie une mort, que l'au-delà des valeurs qu'elle poursuivait lui offrira bien moins le néant d'un abîme qu'une voie nouvelle par laquelle elle pourra s'épanouir. Aussi, déjà à la fin du premier chapitre, après avoir commencé de mettre à nu nombre des « préjugés » de ses prédécesseurs, c'est une philosophie nouvelle que Nietzsche appelle de ses vœux, et du nouveau nom de psychologie – « qui désormais est redevenue le chemin qui conduit aux problèmes essentiels ». Or si la philosophie de l'avenir est une psychologie, fût-elle aussi nouvelle, et eût-elle si peu à voir avec ses expressions antérieures ou futures, elle n'en devra pas moins, si le choix du mot n'est pas arbitraire, être en quelque façon un discours sur l'âme, de quelque manière qu'on l'entende ou plutôt, précisément, d'une manière nouvelle, comme ce sera déjà sensible au long du passage que nous nous apprêtons à commenter.
Celui-ci commence au cours du §19 de la première partie de l'ouvrage : Des préjugés des philosophes, fait suite à deux paragraphes dont le premier ironise « l'antique « je » et le second le libre arbitre, et porte sur la volonté.
[...] Il est probable qu'aux yeux de Nietzsche, Schopenhauer ne procède pas autrement quand il identifie l'action de la volonté et celle du corps, et par suite confond ces derniers en un seul. Et en effet, bien que l'auteur du Monde ne veuille reconnaitre aucune nécessité entre le vouloir et l'acte puisque nous sommes dans un domaine qui exclut la causalité qu'il aurait pu par suite reconduire à une identité ; mais qu'au contraire il les identifie d'emblée, il fonde tout de même cette identité sur un constat qui n'est pas sans rappeler l'apparence de nécessité que dénonce Nietzsche : Tout acte réel de volonté est en même temps et à coup sûr un mouvement de notre corps ; nous ne pouvons pas vouloir un acte réellement sans constater aussitôt qu'il apparaît comme mouvement corporel. [...]
[...] C'est-à-dire que le sujet est dual et par suite que la volonté est un pouvoir de contrainte puisque celui qui commande n'est pas véritablement celui qui obéit. Cette structure complexe de la volonté, que le vulgaire ne voit pas, pourrait pourtant être aperçue, car la volonté se manifeste précisément à nous comme un pouvoir de contrainte : s'il arrive que dans un cas donné nous soyons à la fois celui qui commande et celui qui obéit, nous avons en obéissant l'impression de nous sentir contraints, poussés, pressés de résister, de nous mouvoir, impressions qui suivent immédiatement la volition Autrement dit, alors que nous sommes apparemment seuls impliqués dans notre vouloir, nous ressentons pourtant que des forces s'exercent sur nous, que nous sommes en quelque sorte entraînés dans des sens contraires. [...]
[...] Et c'est bien tel que se croit l'homme qui veut. Ainsi, le plaisir né de l'illusion de l'autonomie - et qui incite le sujet à se concevoir libre - s'ajoute aux deux plaisirs qui reviennent en propre aux différentes parties du sujet : le plaisir de soumettre l'autre et la satisfaction du devoir accompli : dans l'acte volontaire, s'ajoute ainsi au plaisir de donner un ordre le plaisir de l'instrument qui l'exécute. Ainsi, le sentiment du libre arbitre est d'autant plus fort qu'il mêle ces deux plaisirs contradictoires que l'homme fait siens. [...]
[...] Ainsi, de la méconnaissance de la pluralité qui est impliquée dans notre propre vouloir, nous en sommes venus à faire de la volonté et de l'acte qui lui succède une seule et même chose. Car celui qui veut croit de bonne foi qu'il suffit de vouloir pour agir Cette croyance est conséquente de ce que nous avons énoncé plus haut, à savoir que nous nous croyons un et que par suite nous croyons que notre volonté est une, et du fait que nous sommes les dupes d'une apparence qui nous dissimule la contingence qui affecte l'agir par rapport au vouloir et ainsi, la nécessité qu'ils soient essentiellement différents. [...]
[...] Tandis que pour l'auteur, la morale doit être tout entière l'étude de ce qui se passe réellement au sein de la volonté. Cependant cette morale nouvelle n'est pas seulement originale, elle est la seule possible au point où Nietzsche a abouti. Car les principes qui fondent les morales traditionnelles, qui le plus souvent sont des morales normatives, ont été abolis. En effet, elles avaient en quelque manière besoin que la volonté fût une chose simple, gouvernée par l'unité du sujet. [...]
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