Le but de l'exposé de Frédéric Worms n'était pas, ou pas seulement, de montrer que quelques expériences négatives révèlent – en négatif justement – que les relations individuelles sont constitutives de notre être, en les brisant. Il ne s'agit pas de voir dans ces expériences négatives la seule négativité révélant indirectement une positivité. Considérer ces expériences négatives pour elles-mêmes, et d'une façon plus générale, prendre en compte l'importance des relations personnelles pour notre vie, voilà qui constitue une des lacunes majeures de la philosophie dans toute son histoire. Mais il ne s'agit pas de présupposer des relations pleines, satisfaisantes existant au préalable et rompues de façon logique (c'est-à-dire dans le langage), par la perte, la rupture ou la violation. Non, les expériences négatives comme celles-ci peuvent aussi être des expériences premières. C'est ce que Frédéric Worms a tenté de montrer. Ces expériences sont en réalité mixtes : elles sont un mixte de relation et de rupture, un mixte constitutif de la vie. C'est pourquoi cette question a un but ontologique sous-jacent : permettre de déterminer de quoi sont de façon ultime faites nos relations. Toute relation est donnée avec la possibilité, et même plus, la réalité irréversible, de la rupture. La rupture n'est donc pas une expérience seconde, encore moins secondaire : c'est le point principal, et le plus complexe à cerner, de la conférence. Mais ceci ne constitue que la première ambition de cette analyse de Frédéric Worms. La deuxième a une visée éthique, morale : déterminer en quoi ce mixte que constituent les expériences négatives sont également constitutives de nos actions, de nos devoirs, de nos libertés. Cette question touche à un refus traditionnel de la philosophie : accorder aux relations que nous entretenons une efficace sur nos actions morales.
[...] Ce que Frédéric Worms veut montrer c'est que l'attachement même réussi, même non détruit, a déjà comporté, a toujours comporté, l'épreuve de la rupture. Cette épreuve peut avoir deux dérives pathologiques, deux dérives contraires : l'incapacité à supporter la séparation ou l'indifférence à la séparation. C'est une polarité constitutive de notre vie, qui n'attend pas la rupture, la perte finale pour se manifester. L'essence même de la vie est cette alternance entre la possession et la perte : reproduction et séparation, fusion et division, etc. Empédocle avait d'après Frédéric Worms déjà pris le pouls ultime des choses. [...]
[...] Mais cette possibilité d'indépendance complète est un pur mythe : l'ombre de la violation plane toujours. Ainsi la perte, la violation, la rupture sont à penser en même temps selon les relations de parenté, d'amitié, d'amour. C'est bien cette dimension est qui devenue aujourd'hui un horizon de pensée philosophique. La subjectivité apparaît toujours par surprise de ces expériences négatives, qui sont bien des expériences primaires et vitales. La rupture n'est pas seulement une potentialité seconde de la relation, elle est d'après Frédéric Worms une réalité toujours présente : par des forces en nous, et pas seulement par des phénomènes extérieurs, par des accidents pour ainsi dire. [...]
[...] Dans des cas extrêmes, la perte peut produire une désorientation profonde dans le monde. La perte devient ainsi un être-perdu et pas seulement un avoir-perdu. La perte atteint alors le sujet lui-même : elle- même devient perte de la capacité à décrire le monde et à s'orienter dans celui-ci. On en trouve des échos frappants dans le titre de Derrida : Chaque fois unique, la Fin du monde. La phénoménologie, en tout cas, laisse de côté le fait que la perte d'un être proche produise également l'écroulement du monde. [...]
[...] L'attachement est donc une somme, une somme de violation et d'égalité de liberté. Cette notion de liberté au sein de la relation amoureuse particulièrement semble être assez contestable : la part d'involontaire, et d'absence de liberté dans le choix de la relation amoureuse ou de sa fin semble être bien plus forte qu'une telle analyse peut le montrer ; il s'agit de distinguer ainsi proprement la liberté dont nous disposons sur l'engagement dans la relation amoureuse (la débuter, la prolonger, la terminer) et l'absence de liberté que nous avons sur l'objet de notre amour et la force du sentiment. [...]
[...] Mais ceci ne constitue que la première ambition de cette analyse de Frédéric Worms. La deuxième a une visée éthique, morale : déterminer en quoi ce mixte que constituent les expériences négatives sont également constitutives de nos actions, de nos devoirs, de nos libertés. Cette question touche à un refus traditionnel de la philosophie : accorder aux relations que nous entretenons une efficace sur nos actions morales. En tout cas, l'objectif est de retrouver la valeur des relations individuelles, qui ont été destituées de leur importance dans le domaine de la philosophie morale. [...]
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