Dans le Banquet, Platon est le premier à donner une définition du désir : celui-ci est toujours lié à un manque que l'on jouirait de combler. Pourtant, les désirs humains se portent très souvent sur des objets inaccessibles, comme si l'homme était inexorablement attiré par l'impossible : qui n'a jamais éprouvé le désir d'être immortel ou de voler, par exemple ?
Dès lors, il est évident que de tels désirs ne pourront jamais être assouvis ; comment, dans ce cas, combler l'impression de vide, de manque, qui s'empare alors de l'homme, en perpétuel état d'insatisfaction ? Comment lui éviter de sombrer dans la déception et le malheur ?
C'est ce que tente d'étudier René Descartes dans cette troisième maxime de sa « morale par provision », qui tend, par l'énonciation de quelques règles fondamentales, à permettre à l'homme d'accéder au bonheur. Tout au long de ce texte, le philosophe, en s'appuyant sur une fine analyse des désirs humains, développe la thèse suivante : rien ne sert de désirer des choses sur lesquelles on n'a aucune prise, car c'est une entreprise bien trop hasardeuse qui échoue souvent ; aussi convient-il de borner ses désirs à ce qui est en son pouvoir et d'accepter sans regrets que certains biens soient impossibles à atteindre.
Quelles sont donc les caractéristiques et les principes de la maxime cartésienne ? Sur quoi s'appuie-t-elle ? C'est ce que nous tenterons d'examiner au cours de notre analyse de ce texte.
[...] écrit ainsi le philosophe stoïcien. Citons encore cet impératif catégorique : Ne demande point que les choses arrivent comme tu les désires, mais désire qu'elles arrivent comme elles arrivent, et tu prospèreras toujours. L'on accède au bonheur non pas en désirant contre l'ordre du monde, pas plus qu'en renonçant à tous ses désirs, mais en ne désirant que ce que l'on sait pouvoir obtenir. En effet, lorsqu'on ne veut que ce que l'on peut, on peut tout ce que l'on veut. [...]
[...] Cette maxime a pour enjeu de rendre content c'est-à-dire de parvenir au bonheur, souverain bien de l'existence humaine. L'emploi du verbe se rendre semble souligner l'idée que le bonheur n'est pas contrairement à ce que pourrait laisser penser m'étymologie du mot un don qui nous serait offert de manière innée : il faut le conquérir, le gagner, ce que mettent en évidence les termes tâcher me vaincre changer ou encore m'accoutumer qui connotent un réel effort sur soi. C'est qu'en effet, la maxime de Descartes présuppose qu'il n'y a pas d'accord entre nos désirs et la réalité, entre les aspirations humaines et l'ordre des choses. [...]
[...] Mais parvenir à une telle maîtrise de soi est-il chose aisée ? Au début de la troisième et dernière partie du texte, Descartes concède que la règle de conduite qu'il énonce est, certes, difficile à appliquer : j'avoue qu'il est besoin d'un long exercice, et d'une méditation souvent réitérée, pour s'accoutumer à regarder de ce biais toutes les choses admet-il. L'expression long exercice le souligne bien : la sagesse est une affaire de pratique, non simplement de théorie, et y parvenir nécessite un travail sur soi soutenu et éprouvant. [...]
[...] En somme, tant dans la vie quotidienne que dans la philosophie, la troisième maxime de la morale provisoire de Descartes trouve un profond écho. Quelques problèmes subsistent cependant : certes, le philosophe prône la résistance à nos désirs spontanés se portant vers des objets inaccessibles. Mais pouvons-nous de la sorte, même à force de volonté et d'un long exercice réprimer nos désirs ? Après tout, ceux-ci ne sont- ils pas incontrôlables ? C'est pourtant ce que suggérait Platon, lorsque, pour caractériser les désirs humains epithumia il prenait l'image d'un cheval noir et rétif ballotant le char de la raison au gré de ses caprices. [...]
[...] Que la chute est rude lorsque la réalité s'impose à nous, brutale et violente ! Et quel désespoir est alors le nôtre ! La maxime de Descartes de fait, l'avantage de proposer une solution intéressante à ce problème, qui, à défaut d'exaucer notre souhait, nous épargne les souffrances d'un tel échec. Le but du philosophe est donc de permettre à quiconque s'efforce d'appliquer sa règle d'atteindre le bonheur et l'ataraxie, c'est-à-dire l'absence de troubles et l'indifférence aux passions : sa doctrine est dite eudémonique dans la mesure où elle place dans le bonheur la fin de la vie morale. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture