Commentaire de texte en Philosophie (MONTAIGNE, Essais, II, 12 - Apologie de Raymond Sebond). Niveau : Master, note : 16/20.
[...] C'est pourquoi il « faudroit un nouveau langage » (l.18) aux disciples de Pyrrhon. Montaigne considère ici que s'il est ridicule d'accorder pleinement crédit aux vérités de l'ordre du logos, il l'est tout autant de dévaloriser tout jugement sous prétexte qu'il passât par l'affirmation : la sorte de schizophrénie (auto-contradiction) ou de mélancolie (indifférence) : « ils disent que cette proposition s'emporte elle mesme, quant et quant le reste » (l.23-24) dont on taxe les sceptiques implicitement : « ainsin on les a contraints de se sauver dans cette comparaison de la médecine, sans laquelle leur humeur seroit inexplicable » (l.21-22) et le refuge - de ces maladies sous-entendues - est le comble du ridicule. [...]
[...] Le savant, le théologien ici, est intolérant et présomptueux, cf. 2[nde] préface de la Critique de la Raison Pure ; l'usage immodéré de la raison se fait sentir quand point l'arrogance dans le ton. Dès lors que l'on s'aventure hors du phénoménal, on élucubre ; présumer de ce que sont les choses manifeste une certaine arrogance intellectuelle, arrogance d'autant plus grande qu'en l'occurrence l'« homme Chrestien » se rapporte à Dieu. Armé de moyens humains, nous devrions nous refuser à dire catégoriquement « Dieu est ceci ou dieu est cela ». [...]
[...] Si nous ne comprenons pas ce qui est en dessous de nous, comment pourrions nous nous flatter de comprendre ce qui est au-dessus ? CONCLUSION Finalement, pour Montaigne, la rationalité, la substance et le degré de vérité logique d'un discours, ne sont pas les critères de validité d'un jugement, ni plus que sa prétention à l'objectivité. Montaigne limite la raison aux circonscriptions de l'interprétable même si on le surprend constamment au cours des Essais à s'adonner à de multiples interprétations, ce qui confirme son paradoxe heuristique et herméneutique. [...]
[...] L'homme ne se dédisant est déjà inanité de l'esprit. À avoir voulu ignorer l'ignorance, condition de notre savoir, ces sœurs imbues ont satisfait les avides de sûreté bon marché. La solennité imposante de leur langage ne trompe que le vulgaire et gourmande l'humanité entière selon des préceptes invérifiables. À nous risquer à des sentences définitives à leur manière, nous dirions qu'il semblerait plus aisé de contempler une présumée toute puissance que de nous contempler nous-mêmes. Un savoir qui n'est pas nôtre, un savoir non approprié est une idée reçue pourvoyeuse d'obscurité plus que d'éclaircissements : aussi complexe et rationnelle soit-elle, l'idée est du domaine de la raison et défie parfois l'expérience. [...]
[...] Commentaire : MONTAIGNE, Essais, II « Apologie de Raymond Sebond » INTRODUCTION Précurseur de l'humanisme des Lumières, Montaigne confronte notre faculté spéculative à notre condition humaine, à ses limites. La raison est prisonnière de sa vanité et captive de son narcissisme et c'est en contemplant sa présumée puissance qu'elle se perd. Au cours de ce passage, Montaigne se livre à une critique (de krinein : séparer le bon grain de l'ivraie) de l'affirmation lato sensu en renvoyant dos à dos dogmatisme et pyrrhonisme, toujours dans la perspective de l'objection qu'il entreprend au cours de cette « Apologie pour Raimond Sebond » : celle d'une théologie mieux fondée en raison. [...]
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