Cherchant à définir ce en quoi peut consister la science de l'être en tant qu'être, et son objet, Aristote est animé d'un souci de précision autant que d'exhaustivité. On peut s'interroger sur la compatibilité de tels soucis entre eux. Ainsi, quand il parle du sage, de celui qui doit être en possession de la science de l'être en tant qu'être, Aristote le définit tantôt comme se caractérisant par l'exhaustivité de son savoir (il connaît tous les domaines, même si ce n'est pas de manière détaillée), tantôt comme se distinguant par la précision de son savoir dans un certain domaine.
Ces deux définitions semblent difficilement compatibles entre elles. Or, Aristote ne semble pas trancher véritablement en faveur de l'une ou de l'autre. Cette tension entre la précision et l'exhaustivité va se retrouver lorsque Aristote va entreprendre en ce début de livre VII, de déterminer l'extension et la compréhension de l'Un : il s'agit pour lui de déterminer l'ensemble des choses qui peuvent être dites unes (l'exhaustivité s'obtenant, non pas par une énumération de toutes les choses unes, mais par la détermination de l'ensemble des rapports sous lesquels une chose peut être dite une), mais aussi de définir la notion de l'Un de manière précise.
Même si Aristote insiste sur la distinction entre ces deux démarches, la question qui va se poser dans l'examen de ce texte est de savoir si le domaine des choses unes est déterminé (et déterminable) de façon suffisamment précise pour ne pas nuire à la compréhension de la notion de l'Un : en effet, s'il s'avérait que l'extension de l'Un n'a pas de limites assignables (et de fait, il semble que tous les êtres soient uns), il ne serait pas possible de comprendre l'Un, d'en saisir la notion.
[...] Certes, il progresse vers ce qui a le plus d'unité à savoir ce dont le mouvement est plus indivisible et plus simple mais ce faisant, il laisse irrésolue la question de savoir jusqu'où conduirait le mouvement inverse, à savoir la régression de la plus parfaite unité à la moindre unité : aboutirait-on, pour finir, à la non-unité, c'est-à-dire à des choses dont on peut dire qu'elles sont non-unes ? De même que successivité et contiguïté sont en un sens des continuités moindres plutôt que des non-continuités, de même, il y a des choses dont le mouvement est moins indivisible ou moins simple que l'est le mouvement naturel. Mais un mouvement absolument divisible ou absolument décomposable, absolument non-un par conséquent, n'est plus un mouvement. La division anéantit le mouvement. [...]
[...] Mais la classification opérée par Aristote, est, pourrait-on dire, de type visuel : pour la vue, les choses peuvent être dites plus ou moins unes, mais jamais totalement non-unes. Du même coup, il n'y a pas seulement, dans cette classification, une absence de distinction entre ce qui est un et ce qui ne l'est pas, mais il n'y a pas non plus de nette frontière entre les différentes classes de choses unes (ce qui remet en cause l'hypothèse selon laquelle ces classes seraient les différents genres de choses unes, puisque pour Aristote, les genres sont incommunicables entre eux). [...]
[...] Dans le premier cas, semble-t-il, il s'agit de l'unité comme unicité selon laquelle un individu est absolument distinct des autres individus. Dans le second cas, en revanche, il s'agirait de l'unité dans le sens de l'uniformité puisqu'il y a une identité formelle, au sens d'une identité d'essence, entre les choses qui composent l'ensemble. A première vue, en effet, il est douteux que l'on puisse dire qu'un ensemble de choses ayant la même essence a plus d'unité qu'un individu, ou l'inverse : il s'agirait donc bien de deux sens différents. [...]
[...] Mais quelles sont alors ces choses qui, parce qu'elles ont seulement une certaine continuité sans aller jusqu'à être des touts, peuvent à bon droit être exclues de l'ensemble des choses unes ? Peut-être l'exemple du fleuve serait-il le plus pertinent pour donner une idée de ces choses. Un tout, en effet, a une configuration et une forme, tandis qu'il peut y avoir de l'informe continu, tel justement, le fleuve : celui-ci est continu selon le temps (toutes ses parties se déplacent en même temps) mais il n'a pas de configuration dans l'espace, ou plutôt il en change constamment parce que ses parties changent constamment de position les unes par rapport aux autres. [...]
[...] Mais il faut remarquer qu'en envisageant de la sorte une unité des attributs contraires, on en revient à l'unité par accident, qu'Aristote a choisi de laisser de côté ici, sans doute parce qu'il s'agit d'une unité moindre, voire une fausse unité, et par conséquent quelque chose qui relève en toute rigueur de la non-unité. Pour qu'une chose puisse vraiment être dite une, le fait d'être continue dans le temps est donc une condition nécessaire, mais pas suffisante : il faut aussi qu'elle soit continue dans l'espace, c'est-à-dire qu'elle est un tout. [...]
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