Le refus d'attribuer une âme aux bêtes doit être compté parmi les thèses de Descartes qui suscitèrent le plus de débats chez ses contemporains et ses successeurs. Il faut avouer que cette doctrine choque le sens commun. Nous avons l'habitude, fermement ancrée en nous - du fait de la mauvaise éducation que nous avons reçue, dirait Descartes - d'attribuer aux animaux des sentiments et des émotions, des désirs et des pensées. Bien souvent, nous les jugeons capables de raisonnements élémentaires. Pourquoi donc établir une distinction aussi tranchée entre l'humanité et le reste du règne animal ?
Descartes considère que l'existence, chez les hommes, de la capacité linguistique fournit une réponse à cette interrogation. Comprenons bien ce qu'il entend par là. Il n'est pas question de nier que certains animaux possèdent le pouvoir de communiquer. Cependant, communiquer n'est pas parler : toute communication n'est pas linguistique, tant s'en faut.
[...] Au contraire, Descartes, dans cette Lettre au Marquis de Newcastle exacerbe les différences et nous aurions tendance aujourd'hui à lui donner raison. Il souligne tout d'abord le caractère dépendant des stimuli de la communication animale (l.1 à 10) ; puis met en évidence l'aspect créateur et indépendant des stimuli du langage humain ( 1.10 à 12). Signe de la pensée, le langage apparaît ainsi comme le propre de l'homme ( 1.12 à 14). Si le langage est le propre de l'homme, c'est parce qu'il est, en son essence, le signe d'une pensée. [...]
[...] Cependant, la maîtrise de la langue française par Descartes devrait nous éviter tout contresens fâcheux. Descartes débute donc son argumentation en exposant de façon immédiate sa thèse, à savoir que les bêtes sont dénuées de pensée Ceci, il le prouve en récusant les deux arguments dont se servit Montaigne pour démontrer qu'il pouvait y avoir moins de différence d'homme à bête que d'homme à homme (Essais, Apologie de Raimond Sebond L'idée première, défendue par Montaigne, reposait sur les disparités, les inégalités de perfection que l'on peut percevoir à la fois entre les différents individus de l'espèce humaine, mais aussi entre les différents individus des espèces animales. [...]
[...] Cette différence de nature entre le signe linguistique et le signal animal nous oblige à reconnaître le gouffre infranchissable séparant l'animalité de l'humanité. Si Descartes ne nie pas une différence entre les hommes, il nie cependant que le dernier des hommes puisse valoir moins que la première des bêtes. Tous les hommes ( . même ceux qui sont stupides ou privés d'esprit usent du langage, alors qu' aucune bête ne peut en user Tout homme parle, car tout homme pense, étant donné que la nature humaine se définit par l'acte même de la pensée, même si celle-ci est mal ou peu utilisée. [...]
[...] Tous les arguments posés par Montaigne et l'opinion commune, et tendant à montrer une continuité possible entre l'homme et l'animal ont donc été réfutés par Descartes. Pas plus qu'on ne peut penser un possible langage animal, pas plus on ne peut confondre l'humanité et l'animalité. Il n'y a pas entre l'homme et la bête qu'une différence de degré ; il y a bel et bien une différence de nature. C'est à cette conclusion qu'aboutit Descartes à la fin de son texte. [...]
[...] À l'inverse, aucun animal ne parle, car aucun animal ne pense. L'humanité est donc la seule espèce à être douée d'une nature spirituelle, et cela la place bien au-dessus de toutes les autres espèces animales. Par conséquent, parce qu'il est de nature spirituelle, le dernier des hommes aura toujours une valeur supérieure - voire incomparable - à la première des bêtes. La valeur de l'homme réside donc dans sa faculté de penser. Et celle-ci est ce dans quoi s'origine le langage. [...]
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