Le roman épistolaire, tel que Les Lettres de la religieuse portugaise de Guilleragues, est souvent l'occasion pour l'auteur d'exprimer les intériorités et les sentiments tourmentés, passionnés des personnages. Il devient ainsi un véritable emblème du roman sensible et lyrique. « La lettre LIV à Julie », extraite de la première partie de La Nouvelle Héloïse de Rousseau, semble alors plus appartenir au mouvement préromantique qu'à celui des Lumières de son auteur. En effet, on y retrouve ses caractéristiques essentielles : l'exaltation des sentiments et la complainte amoureuse, l'expression de la passion et des tourments, l'attente impatiente de l'amant qui va enfin retrouver son aimée et qui craint la découverte de la tromperie. Ici, et ce sont des éléments distinctifs du lyrisme, le personnage se complaît dans la douleur et l'attente, dans l'absence de l'être aimé plus que dans le bonheur de la relation amoureuse. En effet, l'espérance de la jeune fille, l'anticipation du contact amoureux à travers un lieu qui lui est habituel sont remplacées, à la fin de la lettre, par l'évocation de la libération que provoque l'écriture. Cette dernière serait alors, à travers des procédés esthétiques propres au lyrisme et au roman sensible, plus l'occasion de la formulation d'un « je » que la tromperie d'une attente.
[...] La première personne présente deux fois accompagne le terme de cœur lieu des sentiments. Julie est là, dans la pièce, et il s'adresse encore à lui-même. La lettre est ainsi plus un prétexte pour écrire son ressenti personnel, ses tourments que pour tromper l'attente de la femme aimée. De fait, écrire donne le change à es transports (ligne il en temp [ère] l'excès (ligne 24). La description, la fouille de ses sensations en atténue la force, affaiblit la folie de l'excès Le narrateur, en écrivant, se distrait. [...]
[...] En effet, le présentatif voici encore souligné par sa répétition, accentue le pronom me et forme ainsi la manifestation première d'une oralité, d'une parole qu'il annonce et souligne. De plus, cette phrase, ainsi que beaucoup d'autres dans cette lettre, est l'occasion d'un jeu des pronoms : me voici dans ton cabinet suscite la proximité, par exemple. Le choix de la temporalité est également important et fortement porteur de sens dans un écrit. Ici, le narrateur a choisi le présent de l'indicatif et, donc, la saisie immédiate du sujet. La lettre donne ainsi naissance, par un effet de direct, à un compte-rendu instantané, contemporain à l'événement vécu. [...]
[...] Ce respect, de fait, est très présent le long du texte. En effet, l'indication de temps jadis (ligne est suivie de l'évocation d'anciens regards et soupirs. Mais ces manifestations de l'amour sont réprim étouff [és] (ligne 4). Le cabinet a été le lieu de la naissance des sentiments, mais cet amour est interdit et, donc, contenu, réprouvé. Ainsi, la répétition du mot tant (lignes 3 et donne de la force aux coups, aux assauts portés par l'amour et amplifie la difficulté de la lutte. [...]
[...] Ainsi, l'amour et les tourments qu'éprouve le narrateur grandissent lorsqu'il entre dans l'intimité de la jeune fille : plein d'une émotion qui s'accroît (ligne 1). Le terme asile (ligne peut également constituer une syllepse. En effet, il est un refuge puisque le narrateur est plus en sécurité dans ce lieu qu'ailleurs dans la maison où il risquerait de rencontrer le père de la jeune femme. Refuge aussi dans le sens où il est l'endroit secret qui permet au narrateur de se réfugier, de se complaire dans son amour. [...]
[...] Ce vocabulaire marqué est, de plus, accompagné par les exclamations, propre à traduire la surcharge affective : Dieux ! dieux ! que sera-ce quand ah ! (Ligne 19.) Un cri couvre tout le texte. Ces exclamations accompagnent les temps forts du sentiment et sont ainsi les figures dominantes du texte : on ne compte pas moins de vingt-quatre points d'exclamation dans cette lettre. Ces derniers, combinés aux points de suspension, signalent le comble de l'émotion, l'impossibilité de s'exprimer dans laquelle se trouve le personnage. [...]
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