Dans les livres II et III du Traité du désespoir, Anticlimacus (que j'appellerai ici Kierkegaard par commodité) évoque diverses manifestations du désespoir. Dans le livre III, l'auteur développe le thème du moi en tant que synthèse et de la conscience de celui-ci. C'est précisément de ce dernier élément qu'il s'agit dans le chapitre II. On peut remarquer une sorte de crescendo dans les formes du désespoir que Kierkegaard utilise. En effet, dans ce chapitre II, on part du désespoir inconscient de l'être et qui ignore son moi (III, II, A), pour arriver au summum du désespoir, au péché par excellence, le désespoir-défi, où l'on ne veut qu'être soi-même, envers et contre tout et surtout Dieu (III, II, B, β). Le passage qui nous intéresse traite d'un désespoir qui se trouve entre ces deux extrêmes.
[...] Cette dimension de l'instant est très importante chez Kierkegaard, puisque chaque instant qu'on désespère. on attrape le désespoir” Kierkegaard, Traité du désespoir, éd. tel Gallimard, p op. cit., p Cette vision de la condition humaine autorise comme je l'ai dit une plus grande liberté, mais elle induit également plus de responsabilités. Elle nous oblige à considérer chaque instant pour lui-même et à le vivre comme tel, sans se laisser aller au facile assoupissement de la volonté dans une causalité salvatrice, car Dieu échappe à la causalité. [...]
[...] vingt ans, c'est le plus bel âge Alors elle les croit, car ils ont traversé la vie de part en part, eux, ils ont tout vu, ils savent de quoi ils parlent. Elle tente donc de toutes ses forces de profiter de l'instant, carpe diem, et tout ça. Mais elle ne peut empêcher son regard de se porter au delà de la médiocrité quotidienne, au-delà de la tristesse ambiante, au-delà de l'insignifiance d'aujourd'hui. Et le temps passe, vide de sens et d'intérêt, désespérément vide. [...]
[...] C'est du moins la conclusion à laquelle arriveraient les tenants du désespoir jeune s'ils allaient au bout de leurs idées. Tel serait leur raisonnement: l'homme désespère dans sa jeunesse et dépasse toujours ce stade par la suite le désespoir est un corollaire de plus de la puberté or la puberté est un phénomène provoqué par les gènes or les animaux aussi sont régis par la génétique la nature de l'homme est aussi animale que celle des animaux eux-mêmes op. cit., p Mais il n'en est évidemment rien, car l'homme est esprit, la foi et la sagesse échappent ainsi toujours à la fatalité. [...]
[...] Dans la première partie , Kierkegaard se rebiffe contre l'idée que l'âge apporte à l'homme la sagesse et un bonheur douillet, repos mérité après les folles années d'espoir et de vanité de la jeunesse. Selon lui, “Quelle sottise de penser que la foi et la sagesse peuvent nous venir aussi nonchalamment”. Kierkegaard récuse ainsi du même coup le déterminisme populaire qui voit dans cet essoufflement idéologique une fatalité. Selon lui, lorsqu'il “s'agit d'esprit, la simple fatalité n'apporte rien à l'homme”. [...]
[...] En fait, il y a bien un changement qui intervient avec les années, mais ce n'est pas un dépassement du désespoir. Ce serait plutôt une régression. En effet, que ce soit par réaction au monde adulte, par volonté esthétique ou simplement par sincérité, le jeune a tendance à revendiquer son désespoir. Par la suite, il tient à marquer son passage à l'âge adulte, âge de raison, en opérant une transformation dans sa façon d'être et dans sa façon de se percevoir luimême. [...]
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