'Une fin est l'objet d'un concept, pour autant que ledit concept est considéré comme la cause de cet objet'. La fin est ce qui constitue la raison d'être d'un objet, et à quoi renvoie son existence. Donc suppose qu'une intention intelligente ait produit ou choisi cet objet dans un but précis. Ainsi la nécessité de relier une rive à l'autre, en tant qu'origine et cause de la construction du pont, est sa fin.
La finalité est la forme de l'objet quand elle renvoie à une volonté et une pensée qui l'a conçu (pensée humaine dans la technique, ou supposée pensée divine pour qui considère la nature comme œuvre providentielle ; une biologie finaliste verrait dans l'oeil des êtres vivants une forme organisée conformément à une fin, et donc l'expression d'une finalité à l'œuvre).
La forme la plus simple de finalité est la finalité externe : exemple typique, l'utilité de l'objet technique considéré dans sa fonction. Mais on peut parler aussi de finalité interne, quand l'objet, dans sa constitution interne, est organisé, présente un ordre et une disposition qui ne doit rien au hasard, entièrement conforme à un modèle de ce que doit être cet objet. On parle alors de perfection. Supposons par exemple un artisan réalisant (comme c'est encore de tradition dans les corporations artisanales) un 'chef-d'œuvre' attestant sa maîtrise : par exemple un charpentier réalisant un escalier en colimaçon. Indépendamment de l'utilité externe de cet escalier, il est considéré dans sa perfection, sa conformité à un modèle.
Or, dit Kant, si juger une chose belle est indépendant de la détermination de sa fin éventuelle, de son utilité, du besoin physique ou moral auquel elle répond, alors sa forme, dans un tel jugement, est appréhendée sans considération d'une fin. Et pourtant, dans 'la représentation par laquelle un objet nous est donné', autrement dit dans sa forme sensible telle qu'elle se réfléchit dans notre imagination, il y a, dit Kant, 'la pure et simple forme d'une finalité'. Cette forme de finalité ne traduit qu'une expérience subjective ; elle ne fait que traduire l'accord en nous de la sensibilité (par laquelle la diversité sensible de l'objet nous est donnée dans l'imagination) et de la réflexion qui en ressaisit, comme on l'a dit plus haut, une certaine unité. La finalité sans fin, c'est la manière dont une chose nous apparaît, sans référence à une fonction ou à un modèle général, comme ayant une unité propre, tout à fait singulière : ce que la tradition la plus ancienne exprime par la notion d'harmonie.
[...] Peut-on réduire la beauté physique humaine à la conformité à une telle idée normale ? Kant ajoute : Elle n'est pas du tout l'archétype achevé de la beauté en cette espèce mais seulement la forme qui constitue la condition indispensable à toute beauté, et donc seulement l'exactitude dans la présentation de l'espèce (p.169). Nous verrons plus tard, au moment d'approfondir le sens de la beauté corporelle humaine, le rôle qu'elle joue et la signification qu'on peut lui donner[5]. L'idée normale, dit encore Kant, peut être la base de la présentation d'un idéal. [...]
[...] Par là se forme une idée normale de l'espèce : nous ne pouvons en exhiber un archétype, seulement avoir le sentiment qu'une certaine forme s'en rapproche ou s'en éloigne (elle sera alors spontanément jugée laide, difforme). Il va de soi qu'une telle idée normale est étroitement dépendante de ce que nous avons l'habitude de voir. C'est pourquoi Kant prend soin de souligner que la forme, par exemple, de l'idée normale du bel homme est liée à des conditions historiques et géographiques (p. 169) données. [...]
[...] On trouve au quatrième siècle, chez Saint Augustin, influencé par le néoplatonisme, une expression parlante de cette manière de penser la beauté. Dans le De ordine, il raconte comment, sortant des bains avec ses amis, il tomba sur un combat de coqs : violence, sang, excitation de la foule, et pourtant, dit-il, une beauté prenante dans ce combat, et même, ajoute-t-il, dans la souffrance de l'animal vaincu. Il interprète ce sentiment ainsi : sous le désordre apparent, ce combat participe du grand ordre de l'univers et le reflète. [...]
[...] Chacun de ces modes exprimait une disposition du corps et un état d'âme[1]. Au-delà de la théorie musicale, l'harmonie a donc désigné la manière dont une œuvre d'art, et plus largement une chose, suscitait un puissant sentiment d'unité. Mais cette unité ne se ramène pas à la pure et simple régularité. Kant revient sur ce point au : dans une figure géométrique simple (carré ou cercle), on ne peut voir que de pures présentations d'un concept déterminé (p. 178). L'harmonie ne peut être l'ordre pur et simple (taxis, l'ordre en grec, c'est d'abord l'alignement militaire). [...]
[...] Il y a une unité, une loi cachée sous le chaos apparent. C'est dans le renouveau architectural et pictural de la Renaissance italienne, en même temps que les humanistes retraduisent les textes antiques, que cette relation entre beauté et ordre intelligible trouve sa traduction concrète[4]. L'invention de la perspective artificielle, et en architecture des œuvres comme le dôme de l'église Sainte-Marie de la Fleur (ou Dôme de Florence) construit entre 1420 et 1436, où l'élégance reconnue par les contemporains de la forme semble liée à l'usage systématique du calcul mathématique. [...]
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