Ce texte célèbre de Kant (1724-1804), intitulé De l'impossibilité d'une preuve ontologique de l'existence de Dieu, est extrait de la Critique de la raison pure (1781) : c'est la quatrième section du chapitre trois (Idéal de la raison pure), de la deuxième division (Dialectique transcendantale), de la deuxième partie (Logique transcendantale).
Il est question dans ce texte de la preuve de l'existence de Dieu, et plus précisément de l'argument ontologique, qui consiste essentiellement dans un passage discursif (qui tire une proposition d'une autre par une série de raisonnements successifs) du concept d'être parfait à l'existence de cet être : par définition Dieu est parfait (« ce dont on ne peut rien concevoir de plus grand », Saint Anselme), par conséquent il ne peut être privé d'aucune qualité y compris l'existence, donc Dieu existe.
Son problème est de savoir si on peut soutenir cet argument. Ce passage du concept à l'existence est-il légitime ?
Comme l'indique le titre de cette quatrième section, Kant considère ce passage illégitime et même impossible. En effet, et c'est sa thèse centrale, l'existence n'est pas comprise dans la notion de Dieu, elle n'est pas une propriété de l'essence d'un objet mais la position de l'objet dans l'intuition empirique.
[...] Mais si on ne peut pas démontrer l'existence de Dieu à partir de fondements purement spéculatifs, on ne peut pas non plus la réfuter. Si une existence hors de ce champ [de l'expérience] ne doit pas être tenue pour absolument impossible, elle n'en est pas moins une supposition que rien ne peut justifier. (L.234-236) La démarche qui consiste à tirer l'existence d'un concept est illégitime selon Kant, voire méprisable : On ne deviendra pas plus riche en connaissances avec de simples idées qu'un marchand ne le deviendrait en argent si, dans la pensée d'augmenter sa fortune, il ajoutait quelques zéros à son livre de caisse. [...]
[...] L'existence n'est pas un attribut de l'objet à côté des autres. C'est juste une façon de dire qu'il y a la chose, avec toutes ses qualités. Mais qu'est-ce que cela ajoute de plus à cette chose d'exister dans la réalité ? Demande Kant. Quel surplus, quelle valeur ajoutée faut-il voir dans une existence effective par rapport à une existence dans l'intelligence ? L'exemple des 100 thalers est la réponse de Kant à cette question : rien. Et ainsi l'effectif ne contient rien de plus que le simplement possible. [...]
[...] Cette critique de la théologie rationnelle modifie plus largement la conception du monde : pour que l'existence soit déterminée, elle suppose non plus le recours final à un être nécessaire, fondement ultime de tout savoir, mais son insertion dans le contexte de l'expérience. Le fondement du savoir n'est plus le divin mais l'expérience. Avant Kant, l'absolu était premier et la condition humaine était seconde; Kant pense d'abord la finitude (la sensibilité et le corps situés dans l'espace et dans le temps) et ensuite seulement l'absolu. C'est à partir de cette finitude sensible qu'il convient de penser l'absolu, c'est pourquoi la prétention à connaître l'absolu est relativisée chez Kant. [...]
[...] Kant ajoute un argument fort pour appuyer son idée que l'existence n'est pas une propriété de l'essence. En effet, si c'était le cas, il y aurait une différence entre une notion d'une chose posée avec l'existence de cette chose et une notion de la même chose posée sans cette existence. Dans le second cas, l'existence modifierait l'essence de l'objet, et il ne s'agirait alors plus du même concept, énoncé avant l'existence réelle (car l‘essence serait modifiée par l‘ajout de l‘existence). [...]
[...] 212-214) Nous sommes donc obligés de sortir de notre concept d'un objet, pour accorder l'existence à cet objet. Quelles que soient la nature et l'étendue du contenu de notre concept d'un objet, nous sommes obligés de sortir de ce concept pour lui attribuer l'existence. (L.222-224) Ainsi, comme nous l'avons vu, dire que l'être comme existence n'est pas un prédicat réel revient à dire qu'il n'appartient jamais à l'essence d'une chose. Dire qu'il n'est qu'une simple position revient à dire qu'il n'y a pas d'autre existence que l'existence empirique donnée dans l'intuition sensible selon les formes pures de l'espace et du temps. [...]
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