Avant de s'atteler à établir la distinction entre le « beau » et l'« agréable », Kant, dans le deuxième paragraphe de la Critique de la faculté de juger, traite de la visée non utilitaire du beau : (...)
[...] Car si tout est potentiellement beau, autant dire que rien ne l'est plus. Dans une de ses lettres à Madame de Grignan, Madame de Sévigné, critiquant Racine et son Bajazet au bénéfice de Corneille, s'exclamait : Il y a pourtant des choses agréables, et rien de parfaitement beau, rien qui enlève, point de ces tirades de Corneille qui font frissonner utilisant ainsi une distinction que Kant, philosophe critique de la fin du XVIIIe siècle, développerait en distinguant l'« agréable du beau - le premier renvoyant au jugement individuel, le second ayant en revanche une dimension universelle. [...]
[...] L'agréable est le fruit d'une satisfaction tandis que le beau ne satisfait directement aucune inclination. La première caractéristique de la sensation subjective de l'agréable est donc de pouvoir se limiter à une seule personne, soit à pouvoir varier et donc à varier selon les personnes. Outre ce fait, Kant insiste sur le consensus qui entoure cette restriction du sentiment à un individu : chacun consent, dit-il, à ce que son jugement [en ce qui concerne l'agréable] ( ) soit restreint à sa seule personne. [...]
[...] Ce consentement qu'il nommera plus loin modestie retranche à l'agréable toute sincère implication individuelle et ce malgré sa dimension éminemment personnel[le] et privé[e] vue précédemment puisqu'il fait du jugement un acte quasiment aléatoire et de son choix un objet que l'on ne défendra pas coûte que coûte, pire, dont on expliquera la non-conformité avec d'autres en s'en remettant à une sorte de hasard qui aurait décidé des aspirations de chacun. De plus, on peut peut-être voir, dans cette première proposition, l'établissement d'un lien logique quasi-temporel lorsque Kant fonde le jugement sur un sentiment personnel et privé en vertu duquel l'on dit d'un objet qu'il lui plaît ; en effet, l'évaluation semble se faire en trois temps : d'un sentiment personnel et privé de départ découlerait un jugement qui précéderait et même déterminerait le sentiment de plaisir. [...]
[...] L'ajout du pour moi par l'interlocuteur représente formellement cette [restriction] à sa seule personne évoquée précédemment : le pour spécifie un auteur particulier moi à l'expression du jugement et supprime donc la portée générale qu'elle revêtait sans lui. Ce premier exemple donné, Kant s'empresse de l'étendre pour ce qui peut être agréable aux yeux ou à l'oreille de chacun évitant ainsi de réduire l'agréable à des plaisirs gustatifs et donnant plus de portée à ses exemples, le lecteur se risquant sans doute moins couramment à qualifier de beau un aliment ou un vin qu'il ne le ferait pour quelque chose qu'il voit ou qu'il entend. [...]
[...] D'autre part, Kant se réfère, par l'emploi du verbe disputer à l'ébauche de dispute qu'auraient pu constituer les exemples de la deuxième phrase, si le détracteur de la couleur violette avait jugé inexact le point de vue de l'amateur de cette dernière : la seule issue d'une telle contestation est donc le conflit, preuve supplémentaire qu'insoluble par définition, un tel reproche serait bien folie Pour conclure ses considérations concernant l'agréable, Kant déduit : c'est donc le principe suivant qui est valable : A chacun son goût (pour ce qui est du goût des sens) le à chacun son goût sonnant à la fois comme un appel à l'acceptation de la restriction de son jugement concernant l'agréable à sa seule personne et comme un refus de disputer les goûts de l'autre comme inexact alors qu'ils sont simplement différents et qu'ils ne doivent pas être considérés sur le plan de la logique, échappant eux-mêmes à toute logique. La parenthèse qu'il ajoute au principe énoncé précise la nature des goûts que l'on laisse à chacun, annonçant une deuxième partie qui, pour supprimer la parenthèse finale, montrera que d'autres goûts ne sont pas du ressort du jugement individuel. [...]
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