John Stuart Mill est un héritier du courant utilitariste fondé par Jeremy Bentham. Il s'en fait le digne héritier en précisant son travail et en répondant aux objections qui sont faites au courant utilitariste. Pour lui, l'objectif est de complexifier la réalité en conciliant l'intelligence et les sentiments, et en ajoutant notamment la notion de qualité à la seule quantité de plaisirs qui définissait le niveau de bonheur selon Bentham. Ainsi, dans cet extrait, Mill explique que ce n'est pas, ou du moins pas seulement, la quantité qui fait la valeur du plaisir, mais sa qualité. L'homme se distingue alors parmi la multitude des êtres comme celui capable des plaisirs les plus élevés : ses exigences supérieures le laissent souvent insatisfait, mais dans une situation existentiellement préférable selon Mill, sa difficulté à se satisfaire étant la marque d'une supériorité que l'on ne peut vouloir rejeter.
Pour développer cette thèse, Mill procède en cinq moments argumentatifs. Après avoir repris la définition de la morale utilitariste et la nécessité d'en préciser les définitions des notions de douleur et de plaisir (I), Mill explique cette nécessité par la prise en compte des objections faites contre l'utilitarisme, perçu comme une doctrine rabaissant l'homme à ses seuls plaisirs, donc à un bien-être éphémère, fragmentaire, d'ordre sensible, indigne de la rationalité humaine (II). Mill tient compte de ces critiques, mais y répond en affirmant qu'on peut les dépasser grâce à la prise en compte de la qualité des plaisirs (III), que l'on peut évaluer en se fondant sur les préférences naturelles des hommes (IV). C'est en effet par l'observation des hommes que Mill prétend démontrer que nous accordons toujours une supériorité hiérarchique aux plaisirs qui mettent en jeux nos facultés supérieures, en tant que cela nous permet d'affirmer notre dignité » (V).
[...] Au contraire, les plaisirs sont des plaisirs qualitatifs, spirituels, que l'on trouve dans le raisonnement intellectuel, l'art . Mill avance une preuve par l'exemple de cette thèse : si nous pouvions nous contenter des plaisirs matériels, alors nous consentirions à être changés en bêtes, car il serait alors plus facile de combler toutes nos facultés. Mais aucun être humain ne consentirait à abandonner sa raison : c'est bien la preuve qu'il considère que les plaisirs qu'il acquiert par les facultés de sa raison sont supérieurs aux autres, davantage désirables. [...]
[...] L'homme n'est certes pas un être uniquement sensible, mais il ne s'extrait jamais non plus de sa condition matérielle, de ses passions. Jamais totalement rationnel, l'homme est tiraillé entre ses pulsions matérielles et ses pulsions spirituelles. Si le bonheur n'est jamais pleinement atteignable, on peut penser que le compromis trouve pleinement sa place dans l'existence heureuse de l'homme, qui accepte de se satisfaire de plaisirs simples tout en cherchant toujours à progresser vers ses désirs, vers son élévation morale. [...]
[...] Les critiques de l'utilitarisme affirment que cette doctrine pose le plaisir comme une fin, désirable en soi, retirant à l'homme toute sa noblesse. Mais là où Bentham envisageait essentiellement le plaisir d'un point de vue quantitatif, Mill introduit une diversité de plaisirs, hiérarchiquement ordonné, certains étant si qualitativement supérieurs qu'on y tendra sans même être soumis à une obligation morale. Critique de Bentham, Mill reproche à son maître une approche trop simpliste qui ne tient pas compte de la complexité de la psychologie humaine et empêche le progrès moral. [...]
[...] Ces conditions remplies, Mill affirme que si un plaisir plus difficile à atteindre est préféré, c'est qu'il est intrinsèquement supérieur à l'autre : l'effort peut être valorisé en tant qu'il nous permet un plaisir plus intense. De même, un plaisir auquel on ne renoncerait pas même en échange d'une quantité importante d'autres plaisirs doit être en soi préférable, de par sa qualité. Mill prouve ainsi par l'observation empirique qu'il existe bien des plaisirs que nous considérons d'une qualité supérieure aux autres, et que nous privilégions sur la quantité. Il va désormais chercher à déterminer quels sont exactement ces plaisirs. [...]
[...] Mais pour lui, il s'agit en fait d'une confusion entre le bonheur et la satisfaction. Si l'on se satisfait de peu, il est en effet facile d'être satisfait, tandis que rechercher le bonheur conduit toujours nécessairement à reconnaître que ce bonheur ne sera jamais totalement atteint, car nous ne pouvons pas combler toutes nos facultés intellectuelles en même temps : c'est toujours un geste vers le bonheur, et non une entière satisfaction. Mais, en préférant les plaisirs de l'esprit et en négligeant quelque peu ceux du corps, un homme ne serait-il pas moins heureux ? [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture