La morale est habituellement conçue comme la discipline que notre raison ou que notre conscience imposent à notre volonté pour qu'elle s'oriente dans la direction du bien. Elle se traduit concrètement par un ensemble de règles que les hommes doivent observer et qui sont la condition de relations interindividuelles pacifiques. Elle prend donc la forme de normes intériorisées qui permettent aux hommes de guider leur volonté pour qu'elle s'exerce dans le respect de la personne d'autrui et de soi-même. De ce point de vue, la morale semble indissociable du souci que les hommes évitent de se faire mutuellement du tort. Les règles qu'elle prescrit sont autant de protections que nous élevons dans notre conscience contre notre tendance à l'agressivité, à l'usurpation, à l'abus, à l'excès, c'est-à-dire à toutes les formes de comportement qui se satisfont au détriment d'autrui. Le bien et le mal, qui sont les deux objets de la morale, se définissent ainsi aisément comme l'ensemble des événements qui ou bien satisfont ou concordent avec la volonté de ceux qui les subissent, ou bien ne la satisfont pas et entrent en contradiction avec elle (...)
[...] La raison de sa force, pour Nietzsche, ne peut que résider dans le service même qu'elle offre à ceux qui l'emploient et en profitent : punir. Puisque la croyance dans le libre-arbitre permet de rendre les hommes responsables de leurs actions, et donc de les châtier lorsqu'ils sont pris en flagrant délit d'avoir désobéi aux règles que la morale prescrit, elle constitue un extraordinaire instrument de vengeance en même temps qu'un précieux outil de domination : Chaque fois que l'on cherche à établir les responsabilités c'est habituellement l'instinct de vouloir punir et juger qui est à l'œuvre. [...]
[...] On parle par expérience ; et l'on voudrait étouffer ce sentiment tyrannique qui nous donne tant de tourment. [ ] Le méchant se craint et se fuit ; il s'égaye en se jetant hors de lui-même ; il tourne autour de lui des yeux inquiets, et cherche un objet qui l'amuse ; sans la satire amère, sans la raillerie insultante, il serait toujours triste ; le ris moqueur est son seul plaisir. D'après Rousseau, Dieu aurait réglé notre nature pour qu'elle réagisse aux vicissitudes de notre conduite morale, par l'expérience du remords dans le cas du mal, par l'expérience d'une satisfaction intérieure (la joie) dans le cas du bien. [...]
[...] L'enquête du présent texte porte donc sur les conditions auxquelles une action doit être reconnue comme immorale, c'est-à-dire sur les éléments du processus pratique qui donnent à nos actions leur valeur morale. Quels sont-ils ? Que faut-il pour transformer un désastre naturel, une infortune, en acte moralement condamnable, en injustice ? La condition première du jugement moral apparaît clairement si l'on observe que la morale est d'abord et avant tout d'essence répressive : nous n'accusons pas La morale est une discipline qui consiste à réprimer certains actes, et à en encourager d'autres. [...]
[...] Mais que vaut cette distinction entre la volonté libre et le comportement nécessité ? Quelles preuves avons-nous que nous sommes responsables de nos actes ? Pour Nietzsche, cette distinction est une erreur Il a déjà précisé à la phrase suivante la nature de cette erreur : c'est une supposition (cf. nous supposons ici Que l'homme possède ou non une volonté libre, dont dépend tout l'édifice de la morale classique de la responsabilité, c'est une affaire qui ne peut se régler sur un plan purement spéculatif. [...]
[...] Parce que nous supposons ici une volonté libre aux décrets arbitraires, là une nécessité. Le jugement moral, en tant qu'il consiste à comparer l'impératif d'une règle à la conduite effective des hommes, n'a de sens que si ces derniers ne sont pas nécessairement portés à se conduire comme ils se conduisent, mais qu'ils peuvent renoncer aux motivations premières qui les déterminent pour obéir à leur devoir. Pour pouvoir juger, condamner, châtier, réprimer, il faut pouvoir penser qu'il existe en l'homme quelque chose comme un libre-arbitre, c'est-à-dire une faculté de se déterminer à agir indépendamment des raisons de notre entendement et des inclinations de notre nature. [...]
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