Extrait de Nietzsche :“Eléments pour la question de l'intelligibilité - On ne veut pas seulement être compris, quand on écrit, mais encore, de manière tout aussi certaine, ne pas être compris. Ce n'est nullement une objection contre un livre, que le premier venu le trouve incompréhensible : cela entrait peut-être justement dans l'intention de son auteur, - il ne voulait pas être compris par le premier venu. Tout esprit et tout goût vraiment noble choisit aussi, lorsqu'il veut se communiquer, ses auditeurs ; en les choisissant, il trace simultanément ses limites à l'égard « des autres ». Toutes les lois affinées d'un style ont là leur origine : elles maintiennent en même temps au loin, elles créent de la distance, elles interdisent « l'accès », la compréhension, comme on l'a dit, - tandis qu'elles ouvrent les oreilles à ceux qui ont avec nous une parenté d'oreille. Et soit dit entre nous, et dans mon cas, - je ne veux pas que mon ignorance ni ma vivacité de tempérament m'empêchent d'être compréhensible pour vous, mes amis : ni ma vivacité, si fort qu'elle me contraigne à me saisir d'une chose avec rapidité, si je veux m'en saisir tout court. Car j'en use avec les problèmes profonds comme avec un bain froid – vite entré, vite ressorti. Que de la sorte on n'atteigne pas le fond, que l'on ne descende pas assez profondément, c'est la superstition de ceux qui ont peur de l'eau, des ennemis de l'eau froide ; ils parlent sans en avoir l'expérience. Oh ! le grand froid rend rapide ! – Et pour le demander en passant : une chose demeure-t-elle vraiment incomprise et inconnue du seul fait qu'on ne l'a effleurée qu'au vol, qu'on ne lui a lancé qu'un regard, qu'un éclair ? Faut-il absolument commencer par s'y asseoir de tout son poids ? l'avoir couvée comme un œuf ? Diu noctuque incubando, comme Newton le disait de lui-même ? A tout le moins y a-t-il des vérités particulièrement timides et chatouilleuses sur lesquelles on ne peut pas mettre la main autrement que soudainement, - qu'il faut prendre par surprise ou abandonner…” Friedrich Nietzsche – Le Gai Savoir (1882) – GF - extrait du §381
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