Nietzsche est un philosophe qui prend un malin plaisir à prendre le contrepied total de l'intuition première du lecteur. Son style, souvent aphoristique, permet de nous désorienter, de prendre le revers de ce que nous pensions être quelque chose de mûrement réfléchi. Le texte étudié ici, issu du grand ouvrage du philosophe allemand, Humain trop humain, ne déroge pas à cette règle : la première phrase fonctionne à elle seule comme un aphorisme absolument paradoxal.
[...] En définitive, Nietzsche retourne toutes nos attentes : celui qui souffre est celui qui commet l'injustice, en tant que la société tout entière le réprimande ; la victime, de l'autre côté, est chouchoutée par la société qui la prend en pitié. C'est pourquoi il ne vaut mieux pas commettre d'injustice, pour son propre bien et ne pas voir sa vie ruinée par le processus judiciaire. Quitte à commettre une injustice, il est préférable d'essayer de se faire passer pour la victime, afin de réussir à capter l'approbation de la société et à atténuer le fardeau de l'injustice pour celui qui l'a commise. [...]
[...] Celui qui a froissé la conscience collective (au sens de Durkheim) qu'est la société doit en subir les conséquences, par essence. C'est en prenant cette perspective que l'argumentation de Nietzsche peut se passer de toute référence à la morale et seulement se fonder sur un froid calcul entre mes joies et mes peines, selon la terminologie utilitariste. Selon ce raisonnement quasi mathématique, il est donc rationnel de ne pas commettre d'injustice. Nietzsche va encore plus loin en disant que celui qui a subi une injustice n'est pas réellement dans une position de souffrance. [...]
[...] Celui-ci à l'inverse du malfrat, toute la société derrière lui. D'un point de vue psychologique, à nouveau, il a quelque chose de positif qui oriente sa vision de l'avenir (la vengeance), à l'inverse du malfrat qui ne peut voir que l'acharnement de tous sur lui. Tout oppose le pauvre malfrat de l'heureuse victime, en quelque sorte, que ce soit en termes de conscience (culpabilité contre bonne conscience, réprobation contre pitié). Cela est dû au fait que la société, en tant que conscience collective soucieuse de s'autoréguler, craint ceux qui pourrait la violer et donc la détruire. [...]
[...] Ce n'est pas le cas ici. L'injustice apparaît comme un fardeau que chacun, victime et malfaiteur doit porter, mais ce fardeau est plus lourd pour le malfaiteur. Nietzsche en donne la justification. C'est toujours la partie active de la relation qui souffre le plus. Cela est dû à un « remords » ressenti par celui qui a commis l'injustice. Mais ce remords n'est pas motivé, souligne Nietzsche, par la réalisation d'avoir brisé des principes juridique ou moraux, par une angoisse existentielle tournée vers autrui. [...]
[...] Il ne faut pas ici prendre une définition trop restrictive ou technique de l'injustice : Nietzsche entend en fait ici simplement un acte injuste au sens large, c'est-à-dire un acte qui va à l'encontre du droit. Il explore les conséquences de l'injustice sur plusieurs plans : le plan psychologique et le plan social. Il y a donc à la fois dans le texte une perspective individualiste et une perspective plus holiste. La conclusion de Nietzsche est, au premier abord, relativement simple : il ne faut pas commettre d'injustice. Mais c'est son présupposé, à l'inverse du sens commun, et son raisonnement habile qui font tout l'intérêt du passage. [...]
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