Dans ce texte, Bergson entend montrer que si la vie est orientée par la nécessité d'agir, alors « l'individualité des choses et des êtres nous échappe toutes les fois qu'il ne nous est pas matériellement utile de l'apercevoir ». Vivre en effet « consiste à agir », et pas seulement pour l'homme : dès ses formes les plus primitives, la vie est orientée par la polarité du favorable et du défavorable ; vivre, c'est rechercher l'un et fuir l'autre, c'est se choisir un milieu de préférences et d'exclusions. Si un objet n'a aucune importance pour un être vivant, si par exemple il ne constitue ni un danger, ni une source potentielle de nourriture, il n'est tout simplement pas remarqué, il ne fait sur le vivant aucune « impression ».
Seule « l'impression utile », celle qui réclame du vivant en question une certaine réaction (de fuite ou de prédation par exemple) est clairement perçue ; ce qui n'est pas utile au moment présent s'enfonce dans un brouillard indéterminé sans que l'attention s'y porte. Or ce qui est vrai de tout vivant l'est aussi de l'homme : ce qui ne m'est pas utile à présent est peut-être perçu, mais confusément, c'est-à-dire perçu sans être explicitement remarqué.
[...] De même, je ne saisis de moi-même que des déterminations superficielles et souvent grossières, celles justement qui collaborent à l'action que je suis en train de mener. d. Percevoir, c'est opérer une simplification pratique Voilà pourquoi Bergson peut affirmer que mes sens et ma conscience ne me livrent [ . ] de la réalité qu'une simplification pratique et sans doute faut-il donner à pratique sa signification étymologique (ce qui concerne l'action). À même la perception, je ne retiens du réel que ce dont j'ai besoin pour mon action présente, en sorte que les différences inutiles [ . [...]
[...] La perception est déjà une classification, elle est déjà abstraite, elle est déjà généralisante, elle appauvrit déjà le monde, et cet appauvrissement est nécessaire à l'action La perception perd la singularité des choses a. La perception est une classification Que la perception humaine soit déjà classificatrice et abstraite, cela n'est pas douteux, mais cela n'est pas non plus spécifiquement humain : parce qu'il vit, parce qu'il a besoin d'agir pour vivre, l'animal aussi ne perçoit du monde que ce dont il a besoin. Le loup, à même sa perception, différencie le chien et le mouton, parce que l'un est une menace et l'autre une proie. [...]
[...] Si le faucon fixait tout avec la même précision qu'il emploie à regarder le vol d'un insecte, il se perdrait dans la diversité de ses propres perceptions : vivre, c'est sélectionner ce à quoi on est attentif, en d'autres termes, n'accepter des objets que l'impression utile celle qui réclame du vivant des réactions appropriées essentiellement la fuite ou la prédation. Ceci est de la nourriture : je m'en saisis ; ceci est un danger : je m'en écarte. Parce qu'un être vivant doit être attentif à son milieu pour survivre et qu'on ne saurait être attentif à tout, à même la perception, il sélectionne les percepts qui ont pour lui une signification, c'est-à-dire une utilité potentielle. [...]
[...] Et c'est même cette capacité d'abstraction qui distingue l'homme des autres animaux, comme c'est elle qui lui donne des possibilités d'action à nulles autres pareilles : voilà du moins ce qu'affirme Bergson dans la seconde partie de notre texte. Cette capacité d'abstraction, plus développée chez l'homme que chez l'animal, qui lui permet de classer et d'ordonner les choses, lui permet sans doute d'avoir un monde plus vaste et plus subtil ; toutefois, le processus est le même chez l'homme et chez l'animal : l'individualité des choses et des êtres nous échappe toutes les fois qu'il ne nous est pas matériellement utile de l'apercevoir La perception, parce qu'elle est au service de l'action, est déjà oublieuse de la singularité ; la plupart du temps, nous ne percevons pas des choses singulières, mais des objets ayant une fonction. [...]
[...] Une vie où je ne verrais pas un marteau posé sur l'établi, mais une chose ne ressemblant à aucune autre, un objet absolument singulier? Une telle vie serait à proprement parler invivable, elle serait paralysée, incapable d'action, perdue sans remède dans un monde étouffant de diversité. Pour agir, il faut pouvoir aller vite, classer le monde, le simplifier en grandes catégories. Or cette simplification du réel commence non pas avec la pensée, mais dès la perception, ce qui explique que les animaux en soient déjà capables, même si c'est à des degrés divers. b. [...]
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