Souvent, je repars d'une conversation informelle avec des amis ou ma famille, riche de quelques leçons de vie, glanées à l'occasion de récits anecdotiques. Aussitôt je m'empresse de les rapporter à ma femme, et parfois avec le ton vaguement sentencieux d'un homme qui sait tirer de profonds enseignements de sa vie et de celle des autres. On se sent alors superbement sage, et loin des égarements de vie sur lesquels on médite. Mais que la quiétude factice de la conversation s'évanouisse, que les évènements resserrent leur étreinte, et nous voilà bien dépourvus des riches leçons de sagesse que nous nous empressions de servir pour l'édification de nos proches (...)
[...] Il fait un reproche, et profite de l'occasion pour enseigner son auditoire, et au delà des siècles, sans le savoir, nous-mêmes. Le reproche est porteur d'une leçon universelle, puisqu'il invite à ne pas confondre les vertus éthiques, effectivement acquises, et ce qui n'en est qu'une pâle imitation, l'exposé de nos prétendues convictions en matière éthique. Pour Epictète, les vertus éthiques exigent un long et difficile travail sur soi de construction d'habitudes éthiques et de lutte contre des tendances inverses (désirs, habitudes, doutes, conventions sociales, émotions), que l'exposé plus ou moins orgueilleux de nos prétendues convictions néglige outrageusement. [...]
[...] Supposons que j'adopte par conviction éthique le principe de tolérance. L'adoption abstraite, risque de tout de suite être mis en contradiction par mon comportement quand l'attitude d'autrui entrera frontalement en opposition avec mes désirs les plus violents. Je serai en colère contre celui qui me frustre, et sa différence qu'au fond je comprends mal, va me devenir objet de haine ou de mépris. Au mieux je vais me décevoir, au pire, je vais nier mes comportements intolérants pour continuer à me prétendre contre toute évidence, tolérant. [...]
[...] Les principes ne sont pas, dans le cadre du texte, découverts par méditation sur la vie, mais reçus d'une autorité intellectuelle. Cela délimite le contexte. Rendre immédiatement dans le cadre de la métaphore entre apprentissage éthique et assimilation d'un aliment, désigne un mauvais processus d'apprentissage. On peut songer soit à un refus d'adhésion (on entend sans croire), soit à un défaut de compréhension (on apprend sans comprendre le sens des mots), soit à un apprentissage réduit à l'adhésion et à la compréhension intellectuelle (on néglige l'acquisition des automatismes d'application et la lutte contre les penchants adverses). [...]
[...] Le texte dit les principes et non des principes C'est un indice, qui dans ce texte est significatif. Il indique qu'Epictète et son public (auditeur ou lecteur) admettent soit que les principes éthiques présupposés sont objectivement incontestables, soit que dans le cadre du texte, ils seront reconnus par conviction ou par convention, comme hors de contestation. On n'est donc pas dans le contexte relativiste et pluraliste qui constitue l'espace intellectuel commun contemporain. Le terme recevoir »appliqué simultanément aux principes éthiques et aux aliments, semble indiquer un contexte de transmission culturel. [...]
[...] Il faut signaler ce positionnement. Epictète s'oppose dans tout le texte à une compréhension concurrente de la sienne, concernant la philosophie. Pour la position combattue, et apparemment adoptée par certains de ses propres disciples, la philosophie est une discipline de maîtrise intellectuelle et oratoire, d'un contenu intellectuel transmis par des maîtres théoriciens. On est soi même un maître quand on a compris intellectuellement le contenu théorique de l'école philosophique à laquelle on adhère (en l'occurrence pour les disciples d'Epictète, le stoïcisme). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture