Artiste révolté, La douleur d'être soi, Nan Goldin, littérature, Roland Barthes, Françoise Dolto, Yves Michaud, Nietzsche, Camus, The Ballad of Sexual Dependency, Cookie Mueller
« J'ai commencé à prendre des photos à cause du suicide de ma soeur. Je l'ai perdue et je suis devenue obsédée par l'idée de ne plus jamais perdre le souvenir de personne », explique Nan Goldin à propos de son travail dans The Ballad of Sexual Dependency, livre qu'elle dédie d'ailleurs à sa soeur. Suite au suicide de cette dernière à l'aube de ses 18 ans, Goldin explique qu'en cherchant des photographies la concernant, elle s'est rendu compte qu'elle n'en avait pas, ou très peu
[...] Elle se place comme une artiste qui « réveille les consciences » et engendre ainsi la formation de l'homme en tant que citoyen capable d'autonomie et de réflexion politique. On peut donc dire, de façon générale, que Nan Goldin s'inscrit concrètement dans ce balancement entre solitude et communauté, entre une recherche personnelle sur l'utilité de l'art comme moyen de se sauver et une conviction, qui se forme progressivement, que ce qu'elle a vu par ses yeux et à travers son objectif est une expérience subjective mais communicable, capable d'éveiller un sens commun au sein d'un groupe ; que l'art contribue à la solitude autant qu'il pousse à l'ouverture à l'autre, et que sa capacité à éduquer, former l'homme dans sa sensibilité esthétique permet de se libérer et d'embrasser une forme d'autonomie citoyenne l'autorisant à mieux voir, à mieux comprendre les enjeux de la société, de l'Etat. [...]
[...] Consciente que son travail engageait une réflexion sur les minorités, elle mit cependant en avant les interstices visibles sur le spectre du genre, qui ne se limitait plus à être binaire (féminin/masculin). L'arrivée du Sida opère par conséquent un changement progressif dans ses photographies : en documentant la lente dégradation de ses amis et connaissances, du diagnostique au cercueil, Nan Goldin politise son travail en tant que témoignage humain et sensible sur une maladie ne laissant aucune chance, aucune échappatoire ; dans The Cookie Portfolio, elle photographie son amie Cookie Mueller jusqu'à la fin clichés, accompagnés par une note manuscrite, la montrent dans l'évolution de la maladie avant la fin inéluctable qui se profile. [...]
[...] Ses photos sont dès lors le lieu de réminiscences, de morceaux de vie arrachés au présent et conservés comme reliques. En cela, on peut y voir le processus mémoriel abordé par Roland Barthes dans La chambre claire, où le philosophe met en avant le statut de la photographie vis-à-vis de la mort, du « ça a été », en rapport avec la mort récente de sa mère. Les images relateraient ainsi toujours de la mort, qu'elle soit passée, présente ou future : « devant la photo de ma mère enfant, je me dis: elle va mourir: je frémis, tel le psychotique de Winnicot, d'une catastrophe qui a déjà eu lieu. [...]
[...] Plus encore, Nan Goldin prend conscience de la portée de ses photographies dans leur ensemble: en dépassant sa recherche de catharsis, la photographe se positionne comme un témoin dévoilant des questions sur le genre, sur la sexualité, qui restaient scrupuleusement ignorées par l'ensemble de la classe politique, peu intéressée par les revendications LGBT de l'époque. Si l'on extrapole sur l'idée de Schiller concernant l'exercice de soi qui amène l'homme singulier à « s'élever » via l'expérience esthétique, qui se retrouve alors éduqué esthétiquement parlant, on peut dire qu'il peut ainsi participer aux revendications civiques et morales de l'Etat, qu'il a les moyens de former un « horizon commun » pour tous. L'art serait ainsi un moyen de « compensation », par l'expérience du goût, du Beau, face aux maux de la société. [...]
[...] De fait, on peut parler d'un projet « égoïste », très personnel, car Goldin veut garder cette mémoire pour elle, pour se souvenir, pour ne jamais oublier. Son but est donc à teneur individuelle, sa photographie n'étant pas pensée dans un objectif de partage lorsqu'elle débute son projet, inlassablement motivée par l'idée de tout conserver, presque de façon obsessionnelle. On sent que ce médium est une bouée, un gilet de sauvetage : lorsqu'elle part en cure de désintoxication au début des années 90, elle prend régulièrement des clichés d'elle-même, seule le titre de la série, All by myself (Toute seule) résume bien son état d'esprit. [...]
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