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Dans le passage étudié du livre VII, chapitre 14 des Politiques, Aristote s'interroge sur les choix les plus justes à faire concernant le mode et la durée d'attribution du pouvoir dans la Cité : à quelle fréquence et selon quels critères les gouvernants doivent-ils être renouvelés ? Dans la mesure où il ne retient en fait que deux options - ou bien les mêmes gouvernent à vie, ou bien gouvernants et gouvernés alternent leurs positions - la question peut être posée en ces termes : faut-il ou non choisir de redistribuer le pouvoir dans la Cité ? Nous allons voir qu'à cette question, Aristote répond par l'affirmative : le pouvoir doit nécessairement être redistribué, de sorte que tous puissent être gouvernants et gouvernés, et cette redistribution doit s'opérer pour être la plus juste, sur le critère de l'âge. Nous organiserons pour ce faire notre étude de façon linéaire, en divisant le texte en deux parties : la première, constituée des paragraphes [1] à [4] (1332b12 à 1332b351), est le lieu d'une démonstration de la nécessité de cette alternance entre gouvernants et gouvernés, nécessité fondée d'une part sur l'égalité de condition des citoyens, d'autre part sur des observations politiques éminemment pragmatiques ; la seconde, constituée des paragraphes [5] à [8] (1332b34 à 1333a16), développe l'idée selon laquelle cette alternance doit être en fait un passage biographique du statut de gouverné à celui de gouvernant, venu un certain âge.
[...] La question se pose toutefois de savoir s'il est possible de maintenir les plus jeunes citoyens, en quelque sorte, dans l'obéissance et le respect du pouvoir de leurs aînés, autrement dit si cette organisation est réalisable politiquement. D'après Aristote, cette obéissance sera de toute façon permise par l'anticipation que font les jeunes citoyens de leur futur pouvoir : il ne serait pas à craindre que les gouvernés contredisent le pouvoir des gouvernants, dans la seule mesure où ils ont la perspective d'un renversement de l'ordre des choses, de l'alternance des statuts, venu un certain âge. [...]
[...] (Il est remarquable qu'Aristote fonde toute son idée sur la distinction naturelle entre jeunes et anciens - 1332b36 : "la nature a donné le de choix [ . Tout se passe comme si le philosophe cherchait et trouvait dans le cosmos naturel une organisation justifiant d'elle-même l'attribution politique du pouvoir aux anciens ; si la nature a permis cet ordre des choses, c'est qu'il est bon et nécessaire de s'y conformer - 1332b38 : "il convient [ . - nous soulignons.) Ce qui semble bien se cacher derrière ce critère de l'âge, donc, c'est évidemment la foi en un progrès "biographique" vers la sagesse, par l'expérience et surtout l'éducation : les plus âgés ont plus d'aptitude à régir la Cité et ses citoyens parce qu'ils y ont vécu et ont connu eux-mêmes la condition de gouvernés (1333a2-3 : "on dit, en effet, que celui qui est destiné à bien gouverner doit d'abord avoir été gouverné" ; ce qu'Aristote évoque comme un lieu commun du bon sens ne contient rien d'autre que cette idée d'expérience.) Ainsi, si à chaque moment de la vie de la Cité, les plus âgés gouvernent et les plus jeunes sont gouvernés, l'avancement naturel permettra de lui-même l'avancement politique, et chacun au cours de sa vie aura d'abord été gouverné puis gouvernant ; de sorte que, bien qu'à un instant précis gouvernants et gouvernés soient distincts, comme le requiert l'axiome initial, sur le long terme il est possible de dire avec Aristote qu'ils sont "en un sens les mêmes" (1332b41). [...]
[...] En l'absence d'une telle possibilité, c'est donc en quelque sorte par défaut qu'Aristote pose comme nécessaire la redistribution régulière du pouvoir, mais aussi et surtout selon le principe de justice distributive (1332b28 : "l'égalité c'est que la même chose aux égaux") : si tous les citoyens présentent, peu ou prou, le même degré naturel d'excellence et de mérite, alors il est nécessaire que chacun reçoive des chances égales d'exercer le pouvoir. Concrètement, il faut en déduire que chacun, parmi les citoyens de mérite égal, doit exercer le pouvoir pendant un temps égal dans sa vie ; or ce temps ne peut durer la vie entière, auquel cas tous seraient gouvernants en même temps, ce qui contredit l'axiome posé plus haut. [...]
[...] On peut ici comprendre, de manière plus générale, que le pouvoir du gouvernant sur les citoyens diffère du pouvoir du maître sur son esclave, non en fonction de la nature des tâches qu'il peut ordonner en toute justice, mais bien plutôt en ce que le premier vise à l'élévation des citoyens dans l'optique de la future alternance des statuts, quand le second ne vise en rien à éduquer l'esclave (1333a4-5). Cela étant entendu, il n'y a pas de raison pour que les jeunes citoyens se révoltent contre un pouvoir qui, en substance, est destiné à devenir le leur. [...]
[...] En effet, Aristote, considérant la situation où un citoyen (ou un groupe de citoyen - 1332b32 : " tous ces gens-là") tenterait d'imposer un pouvoir plus durable que ne le lui permet la justice (1332b29), prédit qu'il serait très rapidement renversé par l'ensemble des citoyens ainsi privés de leurs chances d'exercer également le pouvoir, aidés par les paysans, dont la caractéristique essentielle semble être pour Aristote leur volonté "d'introduire du nouveau" (1332b31), c'est-à-dire d'améliorer leur condition, et qui participent donc à tout mouvement de révolte qui constituerait pour eux une opportunité d'atteindre cet objectif. De fait, toute tentative d'établir durablement un pouvoir injuste - en regard de la notion de justice distributive vue plus haut - doit alors être tenue pour vouée à l'échec, et donc nulle. [...]
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