Tous les efforts semblent bons pour réduire en soi ce qui pourrait nous rattacher de près ou de loin aux moeurs animales : une vie de besoins, satisfaits grossièrement, sans invention, par pur instinct c'est-à-dire selon une loi inéluctable échappant à toute intelligence créatrice; une vie qu'un homme serait donc en droit de mépriser violemment.
Et pourtant, il n'est pas rare, surtout dans un temps où le darwinisme rappelle le sens de l'Évolution, de saisir en l'homme des comportements dont il ne maîtrise ni la naissance ni la puissance et qui l'apparentent à l'animal : la brusquerie, la violence, la sauvagerie, ou plus légèrement le geste déplacé, l'expression directe et sans nuance d'un désir ou d'un besoin.
Faut-il en déduire que l'idéal humain de maîtrise de soi est contraire à sa nature d'homme ? Qu'il est incapable de se soustraire définitivement à ce qui le dégoûte en lui ? Faut-il admettre avec Horace qu'il est vain de vouloir chasser la nature, puisqu'elle revient au pas de course, c'est-à-dire que l'homme lutte vainement contre lui-même ? Ne peut-on pas envisager que ce désaccord interne soit précisément le propre de l'homme, son naturel ?
[...] C'est ainsi que le Tartuffe de Molière a beau cacher ses intentions à l'égard d'Elmire qu'il désire ardemment, il ne parvient pas à tromper son monde jusqu'au bout. Orgon, leurré par tant d'hypocrisie, voit d'abord en Tartuffe un futur gendre parfait, un saint dévot alors que ce dernier séduit sa femme dès qu'il la rencontre. Lorsqu'Elmire l'amène à se compromettre, il révèle sa vraie nature, c'est-à-dire ses intérêts, ses désirs avec un cynisme qui touche Orgon si au vif qu'il le chasse de chez lui. [...]
[...] Et d'autre part la nature, sauvage, résistante, insistante, bien supérieure en puissance à la violence qu'on lui oppose. Bref, dans le combat entre la nature et l'art, la nature est vainqueur. Le retour incessant de la nature mettrait la culture en échec, si bien qu'Horace semble ici inviter le lecteur de l'épître à laisser en lui s'exprimer ce naturel. Mais est-ce bien de nature, au sens d'un état antérieur à la culture dont il s'agit ? Quel est l'enseignement d'Horace ? [...]
[...] Faut-il admettre avec Horace qu'il est vain de vouloir chasser la nature, puisqu'elle revient au pas de course, c'est-à-dire que l'homme lutte vainement contre lui-même ? Ne peut-on pas envisager que ce désaccord interne soit précisément le propre de l'homme, son naturel ? Il conviendra d'abord de souligner le sens des efforts permanents et violents que l'individu s'impose à lui-même pour se rendre digne de son “humanité”: chasse la nature celui qui a su voir dans la nature, c'est-à-dire dans les penchants humains, ce qu'elle a de décevant et de méprisable. [...]
[...] "Chasse la nature à coup de fourche, elle ne cessera de revenir au pas de course", Horace Chasse la nature à coup de fourche, elle ne cessera de revenir au pas de course. Le dandysme de Georges Brummel fut un art consommé. Il consistait dans la recherche d'une distance, tant par le vêtement spirituellement chiffonné que dans des manières aux nuances subtiles, sorte d'avatar lointain des plus vieilles sociétés civilisées. L'excentricité de la mise, la théâtralisation systématique de l'existence inspirée des arts renaissants de la courtisanerie en passaient par le refus de la nature. [...]
[...] La formule d'Horace aurait donc un but pratique : ne point tomber dans des excès “maniérés” qui aliènent notre vraie nature, c'est-à-dire notre tempérament ou caractère naturel, en contraignant ce tempérament à se cacher. Si c'est notre naturel, c'est-à-dire notre comportement le plus spontané et authentique qu'il faut cesser de contraindre, c'est que l'acte de dissimulation est, à la longue, intenable. Il faudrait en effet soumettre l'individu à un contrôle permanent de soi. C'est moins l'art qui est en échec que la capacité humaine à maîtriser tout en lui selon un art toujours égal. [...]
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