La réflexion philosophique sur le beau prend place dans une Critique de la faculté ou puissance de juger (Kritik der Urteilskraft), qui est le troisième volet d'une oeuvre révolutionnaire qui, en matière scientifique, morale, juridique, a obligé toute la pensée postérieure à se situer par rapport à elle.
Les deux premiers volets sont : 'La critique de la raison pure' (1781 et 1787), 'La critique de la raison pratique' (1788). Que veut dire critique ? Qu'est-ce que cette critique a de révolutionnaire ?
Comme Kant le signale lui-même, le dix-huitième siècle où l'exercice de la pensée 'critique' a été associé à la liberté de penser, avec le risque constant de faire retomber son sens dans une pure et simple remise en cause de telle ou telle théorie. Le vrai sens de la critique, c'est celle du verbe grec krineïn, d'où vient krisis : juger, décider en déterminant.
Le pouvoir de la raison, depuis les Grecs, est celui de donner forme à une véritable connaissance, allant au-delà de la description empirique, procédant selon des définitions et des principes, et rendant ainsi raison de toute proposition dans un cadre méthodique déterminé. De là surgit nécessairement cette ambition, que Kant appelle métaphysique, de rendre compte rationnellement de tout ce qui est dans ses principes ultimes. Nous passons ainsi subrepticement de principes liés à la possibilité de la connaissance (par exemple le principe de causalité) à des propositions qui excèdent les limites de l'expérience (par exemple la spéculation théologique sur les causes ultimes). Kant remarque que lorsque ces prétendues connaissances spéculatives dépassent ainsi les limites de l'expérience, elles s'enferment dans des contradictions sans fin (dites 'dialectiques' par Kant). Pourtant, ce n'est pas une simple erreur, mais une tendance nécessaire, liée à la structure même de la connaissance humaine. D'où la tâche de la critique il ne s'agit pas de poursuivre des connaissances métaphysiques hasardeuses mais de savoir de façon fondée et rigoureuse ce qui fonde et limite le pouvoir de la raison humaine (par exemple de savoir quel statut précis on peut accorder à toute affirmation sur l'existence de la liberté, de l'âme, de Dieu – les trois 'objets' suprasensibles – , ce qui distingue précisément savoir et foi, etc..).
[...] Le recul de ces théories classiques coïncide donc avec le déplacement vers la sphère, subjective et individuelle, du sentiment, d'une expérience vécue en personne par le sujet, communicable mais toujours particulière. Kant se situe dans cette lignée. En 1764 (donc vingt-six ans avant la Critique de la faculté de juger) il écrit des Observations sur les sentiments du beau et du sublime qui traduisent un simple souci d'observation empirique des formes du goût, selon les milieux et les pays. Le goût vestimentaire, en matière de beauté féminine ou masculine, de musique, diffère chez les Allemands et chez les Espagnols. Thème bien connu. [...]
[...] Autrement dit, je comprends pourquoi un objet présente des qualités répondant à un besoin. Une chose peut être bonne absolument (la santé, ou encore ce qui remplit la condition de réalisation d'un bien moral, considéré comme fin en soi) ; elle peut l'être relativement, comme moyen (dans ce dernier cas le bien est l'utile) : voir la fin du p bas). Dans ces deux cas, on a vraiment satisfaction : l'objet apporte réellement quelque chose, de telle sorte que le besoin ou l'excitation est satisfaite. [...]
[...] Par rapport à l'agréable : la distinction de l'agréable et du beau se trouve préfigurée dans l'Hippias majeur. Dans l'analyse qui conduit Socrate à refuser l'une après l'autre les définitions proposées par Hippias (justement parce qu'elles ne sont pas de vraies définitions, mais des exemples seulement), Socrate pose la question de savoir ce qui différencie le plaisir pris aux belles choses des autres sensations agréables, celles qui se rapportent à la nourriture et à la boisson, à l'amour et autres plaisirs agréables (298e). [...]
[...] Le terme de beau semble ici dépasser le simple plaisir agréable pour être lié à l'appréciation d'un équilibre, d'un accord complexe. L'approfondissement des différences entre beau, agréable et bien conduit aux mêmes points : le plaisir esthétique n'implique pas de contact sensoriel avec l'objet. Il est lié à la considération de la forme de l'objet (indépendamment de sa matière), autrement dit à quelque chose qui suscite une attitude de contemplation. La contemplation vient d'un mot latin qui signifie : examiner attentivement l'espace réservé pour l'augure. Kant dit bien, au que le jugement de goût est purement contemplatif. [...]
[...] Kant, premier moment : le jugement esthétique comme jugement libre et désintéressé Le jugement qui déclare une chose belle, dit Kant, est le jugement esthétique. Pour quoi parler à propos de la beauté d'un jugement ? Nous avons remarqué plus tôt que la phrase : c'est beau ! Sonnait plutôt comme une exclamation que comme un énoncé dénotatif. Cette exclamation traduit-elle un sentiment ? Oui, en un sens. Mais en même temps elle porte bien sûr un élément déterminé de la réalité. [...]
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