STRAUSS, Leo, "Qu'est-ce que la philosophie politique", Paris, PUF, 1992
MANENT, Pierre, "La cité de l'homme", Paris, Flammarion, 1997
Ce qui unit fondamentalement l'ouvrage de Pierre Manent à celui de Léo Strauss, c'est la lecture attentive de la philosophie ancienne afin de trouver les origines de la modernité, d'en traquer la piste à travers les dits et les non-dits des philosophes, et comprendre le fondement de l'homme tel qu'il se définit, ou pas, aujourd'hui. L'entreprise philosophique qui leur est commune consiste en une déconstruction de la tradition philosophique pour trouver le sens primordial de l'homme, de sa conscience moderne, et de la philosophie politique, lieu d'émergence de cette conscience.
Pierre Manent se situe largement dans le sillage de Leo Strauss, à qui il reprit d'ailleurs le titre de son ouvrage, La Cité de l'homme. Poursuivant la démarche de son aîné, il en reprend certains éléments essentiels (le caractère premier des choses politiques), en contredit d'autres (ce que Manent appelle le « naturalisme » de Strauss), en partage les buts (caractériser les faiblesses de la philosophie moderne), ou encore les méthodes (le retour aux Anciens). À la lumière de cette parenté intellectuelle, il me semble donc nécessaire de préciser les éléments de connivence entre les deux ouvrages, tout en en déterminant les trajectoires et les développements singuliers ; car, certes, Manent et Strauss, par exemple, voient ensemble dans la conscience historique l'émergence de la modernité, mais il n'en reste pas moins que les deux livres sont parfaitement indépendants. Publiés à quarante ans d'intervalle, leur forme même nous oblige à relativiser la similarité de leurs démarches, puisque l'un est une série d'articles de longueur modeste, de réponses à diverses critiques, donc, dans une certaine mesure, de justifications ou de précisions de thèses antérieures, tandis que l'autre est un essai uniforme et logiquement articulé.
Il conviendra donc de rendre compte à la fois des éléments communs et des singularités qui animent les deux auteurs, autour des concepts aussi variés que l'homme et le citoyen, la modernité, l'histoire et la conscience historique, la vertu et la grâce, le particulier et le général, le meilleur régime, la vérité, la morale, l'humanité. Traiter exhaustivement de l'ensemble des thèmes abordés par les deux philosophes serait une tâche fastidieuse, contentons-nous donc de ces derniers. Nous traiterons donc tout d'abord du retour aux Anciens pratiqué par Manent et Strauss, conduisant pour à des questionnements singuliers à chacun (I.). Puis il sera question de la vertu, de l'homme et du citoyen, et de la manière sa relecture par Montesquieu pose la rupture moderne (II.). Dans un troisième temps il s'agira de reprendre le développement final de Manent, la troisième voie qu'il met en lumière autour de cette même vertu (III.). Enfin, en aval du travail de Manent, nous reconstruirons la critique de Strauss contre l'historicisme (IV.).
[...] ( ) Cette tradition, qui eut son origine dans la Grèce classique fut rejetée aux XVIe et XVIIe siècles en faveur d'une nouvelle philosophie politique. Strauss, p.80 : La différence la plus frappante entre la philosophie politique classique et la science politique d'aujourd'hui consiste en ce que la dernière ne s'intéresse plus du tout à ce qui était pour la première la question principale : la question du meilleur régime Plus simplement encore, Strauss, p.39 : La question principale de la philosophie politique classique est la question du meilleur régime. [...]
[...] Il prétend recevoir de l'Histoire la différence qu'il ne cesse de produire entre les deux modalités de la loi. En percevant comme un élément objectif, et même comme l'élément suprême de la réalité, simultanément comme l'élément même de sa souveraineté, ce qui est une perspective volontaire, délibérée et arbitraire sur sa propre action, l'homme moderne se livre à l'illusion la plus emphatique qui ait jamais asservi l'espèce pensante.[20] IV. On peut voir dans la critique que fait Strauss de l'historicisme les prémices à l'analyse de Manent. [...]
[...] Manent et Strauss, donc, partagent une certaine méthode, celle du retour aux Anciens, d'une déconstruction de la tradition philosophique, mais dans un but légèrement différent. Manent part d'une périlleuse question : Qu'est-ce que l'homme ? Cette question, primordiale, originelle, semble avoir disparu dans la philosophie moderne, tant la tentative de définition d'une nature de l'homme a été, selon lui, balayée par l'adjonction de l'adjectif moderne. En somme, ne se pose plus que la question de qu'est que l'homme moderne[1] Cette transformation est consubstantielle avec la rupture de la modernité, celle qui fit prendre conscience à l'homme qu'il vivait dans l'histoire. [...]
[...] L'association de la vertu ancienne et de la vertu chrétienne par Montesquieu prépare le développement final de Manent. Le processus de modernité est intimement lié au problème théologico-politique, plus précisément à l'ennemi qu'il a représenté. Les vertus antiques et les biens naturels sont irréalistes et les biens surnaturels de l'Eglise sont inaccessibles et impossible à discuter. La rupture de la modernité consiste donc en la sortie de ces deux mondes oppressants pour une analyse moins exigeante de l'homme, redéfini comme individu libre agissant d'après son seul désir de conservation. [...]
[...] Le citoyen est ainsi vertueux s'il demeure fidèle à sa patrie, mais cela ne signifie pas qu'il est un homme vertueux. Un bon citoyen dans l'Allemagne nazie serait partout ailleurs un mauvais citoyen[12] nous rappelle Strauss en guise d'exemple ; le citoyen sera bon si le régime dans lequel il se trouve est lui-même bon, tandis que l'homme bon l'est absolument. Strauss ajoute : L'homme bon ne se confond avec le bon citoyen que dans un seul cas dans le cas du meilleur régime. [...]
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