Les relations entre l'État et le citoyen, sont, depuis l'Antiquité, sources majeures de réflexions philosophiques. Quel mécanisme fait basculer un état démocratique vers un état tyrannique ? C'est précisément le problème délicat que traite Alain dans cet extrait de
[...] Ce terme recouvre en effet une réalité plus psychosociologique que politique, mise en évidence à travers le phénomène du mimétisme. Tous attendent de chacun qu'il prenne en charge la responsabilité des décisions supposées communes. Cette attente caractérisée par une déresponsabilisation qui est inévitablement stérile du fait de son caractère universel. Peut-il donc exister une opinion commune si personne n'a d'opinion ? Si tous les citoyens agissent de cette façon, les citoyens gouvernants ne sont donc pas épargnés. Les gouvernements relèguent à la société civile tout le pouvoir de décision, sous le prétexte de l'interdépendance qui caractérise leur rapport. [...]
[...] Concrètement, la participation du citoyen à la vie politique étant souvent requise, on parle de devoir de participation, la passivité intellectuelle ne peut-être maintenue, du moins en apparence. En réalité, il aura recours à ce qu'il appelle l'opinion publique qu'il considère comme la volonté du plus grand nombre. Il croira retrouver ce concept dans des outils démocratiques, tels les discours politiques ou les médias, qu'il ne considérera non pas comme un moyen de forger sa vérité, mais comme une fin en soi. [...]
[...] Cependant, la solution préconisée par l'auteur soulève un autre problème l'opinion d'un homme, qu'il considère comme une conviction rationnelle, est-elle toujours gage de sagesse ? En effet, à vouloir se fier à son seul libre-arbitre, il est facile de faire erreur, de s'éloigner de la vérité, car avoir un avis sur tout sans avoir les connaissances requises, c'est demeurer dans une ignorance aveugle : c'est croire que l'on sait alors que l'on ne sait pas. Dans Le lachès, de Platon, Socrate énonce d'ailleurs qu'il faut juger par la science si l'on veut être bon juge Serait-ce donc pure folie de donner à des hommes ignorants dans tel ou tel domaine un pouvoir de décision ? [...]
[...] Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu'il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n'est point de folle conception qui ne puisse quelque jour s'imposer à tous, sans que personne pourtant l'ait jamais formée de lui- même et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent tout, et personne ne pense. D'où il résulte qu'un État formé d'hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou. Et ce mal vient originairement de ce que personne n'ose former son opinion par lui-même ni la maintenir énergiquement, en lui d'abord. [...]
[...] Alain, Propos sur les pouvoirs, L'opinion publique Texte étudié: Chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne les formes. Un citoyen, même avisé et énergique quand il n'a à conduire que son propre destin, en vient naturellement et par une espèce de sagesse à rechercher quelle est l'opinion dominante au sujet des affaires publiques. "Car, se dit-il, comme je n'ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à moi tout seul, il faut que je m'attende à être conduit; à faire ce qu'on fera, à penser ce qu'on pensera." Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi. [...]
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