Kate Winslet, consacrée en 2009, pour le rôle d'Hannah Schmitz dans Le liseur, interprète une ancienne militaire SS lors de son procès pour le meurtre de centaines de femmes juives brûlées dans une Eglise. Il s'agit de l'une des rares oeuvres cinématographiques mettant à l'écran le point de vue personnel d'une bourreau allemande. Stephan Daldry, inspiré par l'ouvrage de Bertrand Schlnik (1995), dépeint l'expérience de cette femme, de telle sorte que le spectateur soit pris de compassion pour ce personnage, apparaissant victimisé, face aux deux survivantes qui l'accablent. Les rôles s'inversent. Mais, est-ce à dire que tous les bourreaux deviennent les victimes de leurs victimes, comme l'affirme Vladimir Jankélévitch ? (...)
[...] A La victimisation des bourreaux, un préalable nécessaire au pardon A force de tout comprendre, on finira par découvrir que les bourreaux sont les vraies victimes de leurs victimes écrit Vladimir Jankélévitch. On peut comprendre cela à deux niveaux : tout d'abord, ils deviennent victimes de leurs victimes par une appréciation extérieure que l'on porte sur eux ; ensuite, par une appréciation intérieure de leur ressenti. Les bourreaux étaient ceux qui exécutaient la sanction prononcée par une juridiction, au Moyen-âge ; ils sont également, dans un sens plus large, ceux qui ont torturé ou commis des actes atroces, inhumains. [...]
[...] Mais, est-ce vraiment une bonne chose que de considérer le bourreau comme une victime, de surcroît une victime de sa victime ? N'est-ce pas inverser un peu vite les rôles, les vécus ? Comment concevoir une victime en bourreau de son propre bourreau ? Lorsque Vladimir Jankélévitch affirme qu' à force de tout comprendre, on finira par découvrir que les bourreaux sont les vraies victimes de leurs victimes n'est-ce pas de manière provocatrice ? Peut-être, veut-il nous faire réagir face à la victimisation excessive qui conduit les individus à victimiser leurs bourreaux. [...]
[...] C'est ainsi qu'apparaissent les lois mémorielles qui se déclinent depuis les années 1990 à tous les crimes, tous les actes comme des pardons historiques aux actes français et même aux actes des autres : la loi Gayssot en 1990, la loi Taubira en 2000 La loi, expression de la volonté générale, est un instrument particulièrement efficace pour exprimer un pardon collectif, pour une culpabilité collective. Les bourreaux sont tous ceux qui n'ont pas protégé les victimes, qui n'ont pas empêché la commission d'actes inhumains sur les victimes. Ce pardon législatif offre à la population internationale la chance de dépasser les souffrances vécues pour faire renaître un nouvel ordre de paix mondial sans conflit exprimé ou latent. Le pardon collectif peut aussi se concrétiser dans des cérémonies officielles à la mémoire des disparus, des bâtiments officiels tels que des musées, des monuments. [...]
[...] Le pardon ne doit pas être minimisé et doit rester un acte fondamental entre deux personnes : la victime et le bourreau. En tant qu'acte responsabilisant, le bourreau ne doit d'ailleurs pas voir ses actes atténués. Le pardon se mérite et il doit, pour cela avoir la pleine conscience de ce qu'il a fait, des conséquences de ce qu'il a fait sans être aucunement victimisé. Il en va de la nature humaine du bourreau et de la victime. [...]
[...] Si l'on veut tout comprendre, on peut tout expliquer, trouver une cause à chaque conséquence. Néanmoins, est-ce réellement nécessaire face à un homme qui en a torturé une autre, de chercher à le comprendre, à comprendre son acte, à expliquer les raisons de son acte à sa victime, qui, elle, ne peut comprendre pourquoi elle a subi de telles tortures, afin d'obtenir son pardon pour que la société entière s'en porte mieux. Il faudrait mieux revenir à la notion originelle de pardon pour laisser victime et bourreau à leur place respective et avancer chacun avec leur expérience sans créer une inversion des rôles malsaine tant pour l'un que pour l'autre. [...]
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