Conflits d'intérêts, pressions économiques, lenteur de la vigilance, non transparence des institutions, gestion technocratique de la santé et du médicament, spectre des scandales sanitaires du passé ou bien perte de la confiance médecin/patient....le scandale du médiator tel qu'il nous est présenté par les médias ressemble à un imbroglio, un bourbier duquel le commun des mortels aura beaucoup de mal à se dépêtrer.
Dans les années 70, les laboratoires Servier mettent au point une molécule, le benfluorex, très proche de l'Isoméride et classé à postériori dans la famille des amphétamines, et l'introduisent sur le marché en 1976 sous le nom de Mediator, classé comme adjuvant au traitement du diabète et non comme puissant anorexigène. Ainsi détourné de son usage classique, le Mediator n'aurait aucune valeur thérapeutique contre le diabète et serait de plus mal prescrit. C'est parce que la crise autour du médiator invoque de nombreux acteurs de nature différente, acteurs administratifs, élus, ministres, experts, médecins, avocats et victimes, que l'affaire s'obscurcit de jours en jours pour l'individu lambda.
[...] Selon l'IGAS, c'est en 1999 que l'affaire aurait pu être close par l'interdiction du Médiator car c'est exactement durant cette année que l'Agence Européenne du Médicament décide d'interdire les anorexigènes. Pourtant, en France, le système reste inerte et il faut attendre 2005 pour que le comité national de pharmacovigilance demande la réévaluation de la balance/risque pour le Mediator. « Le Mediator tue aussi la mémoire » mais il rendrait également aveugle quand on note que le Mediator est interdit à la vente aux Etats-Unis depuis 1997 et qu'il a été retiré du marché en 2005 en Espagne et en Italie.
Pourquoi la France est-elle en retard ? Pourquoi les alertes n'ont-elles pas pu remplir leur fonction au sein du système sanitaire ? Comment notre système de contrôle sanitaire peut-il ne pas prévenir le prescripteur quand une enquête officielle de pharmacovigilance est lancée ? (...)
[...] A l'heure où le gouvernement veut garantir aux victimes de bonnes conditions d'expertise et pense à des possibles réformes de l'Afssaps, la lumière n'est pas encore faite sur les véritables causes d'un tel retard français, sur les raisons d'un tel dysfonctionnement ne faisant pas remonter les alertes à qui de droit et sur les éventuels conflits d'intérêt au sein des ministères et des agences sanitaires. Force est de constater l'importance du rôle que jouent les lanceurs d'alertes ou whistleblowers (siffleurs terme anglo-saxon pour lanceurs d'alertes) dans l'émergence, la structuration et le déroulement d'une affaire de santé publique. [...]
[...] Le Mediator tue aussi la mémoire nous rappelle le Canard Enchaîné dans un gros titre du 22 Décembre 2010 à l'aide d'une chronologie édifiante depuis l'autorisation de mise sur le marché jusqu'à son interdiction en 2009. Cependant, si le scandale a éclaté au grand jour et n'est pas resté cache dans les arcanes du pouvoir, c'est bien grâce à certaines personnes qui ont endossé le rôle de lanceurs d'alerte. On se propose ici de retracer l'histoire des alertes non entendues et d'analyser comment le scandale a été, doucement mais sûrement, structuré par les lanceurs d'alerte. [...]
[...] Cette victoire serait-elle la raison de l'inertie de notre système sanitaire ? Peut-on expliquer la lenteur de la vigilance et l'inefficacité des alertes par le fait que les experts épousent les thèses et la logique industrielles ? Pointés du doigt par l'IGAS, soulignés par la Haute Autorité de Santé en 2006, et décriés par la suite par de nombreux politiques, les conflits d'intérêt structureraient en profondeur le scandale du Mediator. Ils expliqueraient non seulement la lenteur de la vigilance, mais aussi l'ignorance d'alerte sur les effets secondaires il y a de cela 10ans et également des choix politiques comme le maintien du remboursement du Mediator par la sécurité sociale. [...]
[...] Comme d'autres affaires depuis une vingtaine d'années, l'affaire du médiator met en scène des victimes isolées, puis réunies à la faveur d'actions en justice, un médecin qui s'efforce de donner l'alerte et des pouvoirs publics peu réactifs. Une nouvelle question surgit en ce début d'année 2011, peut-on protéger juridiquement les lanceurs d'alerte ? Dans un système qui s'est révélé déficient, peut-on leur permettre de ne pas souffrir de représailles lorsqu'ils font lumière sur un scandale sanitaire ? [...]
[...] Ainsi, il conviendrait de parler de parcours du combattant pour cette petite lanceuse d'alerte face à un géant inerte et une industrie pharmaceutique puissante. Irène Frachon découvre tout d'abord au CHU de Brest la grande proximité chimique entre l'Isoméride et le Mediator. Et après un long travail de comparaisons des prescriptions et des diagnostics tout au long de l'année 2008, elle décortique les cas de patients touchés par des valvulopathies et ayant consommé du Mediator. C'est ainsi qu'en 2009, elle présente avec des collègues devant l'Afssaps une quinzaine de cas de problèmes cardiaques en lien avec le Mediator. [...]
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