La justice a toujours passionné le public, par son cérémonial autant que par le sentiment primaire de curiosité que font naître les affaires traitées, notamment lorsqu'elles sont de nature pénale. Cet engouement du public est né bien avant l'expansion des grands médias audiovisuels, et le développement de la télévision dans les foyers. Avec la multiplication des récepteurs, le nombre d'émissions ayant pour cadre la retranscription de la réalité judiciaire n'a cessé de croître, porté par le désir du public de ne pas être tenu éloigné des prétoires.
Ce phénomène a pris une importance considérable, au point que certains documentaristes filment les audiences avec l'accord de leurs protagonistes, mais en violation manifeste de la loi. En effet, la loi du 11 juillet 1985 constituant le droit positif actuel, dite loi Badinter, encadre avec une extrême rigueur la fixation, et plus encore la diffusion, des images d'audiences de justice. Nombre d'enregistrements sont donc effectués aux limites des règles légales, d'autres le sont en parfaite violation de la loi.
Cette situation devrait provoquer de vives réactions de la part des acteurs du monde judiciaire et notamment du conseil national de la magistrature, mais il n'en est rien : le film de Raymond Depardon, 10ème chambre, instants d'audience, a ainsi pu être projeté en sélection officielle lors du festival de Cannes 2004, sans que jamais la question de l'illégalité de l'enregistrement des audiences ne soit soulevée.
Le paradoxe est par conséquent immense entre une justice globalement close aux médias, et la diffusion croissante d'émissions et de documentaires traitant d'affaires judiciaires, que l'on qualifiera par souci de simplification sémantique de chroniques judiciaires. Il grandit encore lorsque la télévision dépasse parfois son rôle d'informateur du public pour tenter de devenir un acteur actif du monde judiciaire, un informateur de la justice. Tel a été le cas d'émissions telles que Témoin n°1, dont l'apport à la progression de la justice fut très probablement bien moins spectaculaire que la part d'audience réalisée…
La question est donc ouverte de la publicisation de notre système judiciaire, des limites à définir entre l'information du public, la collaboration avec la justice, et les nécessaires protections dont doit disposer toute personne confrontée à l'appareil judiciaire.
Au-delà de cette problématique naît un second paradoxe, celui de l'irrépressible attraction de deux mondes, la justice et la télévision, qui divergent pourtant fondamentalement quant à leurs caractéristiques profondes.
En effet, justice et télévision diffèrent tout d'abord par leur cadre temporel. Alors que le temps de la justice est celui d'une longue réflexion, d'ailleurs souvent critiquée pour sa lenteur excessive, le temps de la télévision est marqué par l'immédiateté des informations, la recherche du scoop et de la satisfaction du téléspectateur.
Bien plus, justice et télévision diffèrent par leurs finalités. Ainsi, si la télévision a pour but premier le divertissement et l'information des foules, avec une nette préférence pour la première de ces deux missions, la justice a pour but unique de veiller à la bonne application du droit. Elle constitue donc un élément clef de la cohésion de notre société, par essence totalement étranger à la notion de spectacle dont les caméras sont avides.
Nonobstant cette double divergence, à compter de la fin des années 1960, et notamment de l'ébranlement social de 1968, ces deux sphères antagonistes que constituent la justice et la télévision vont se rejoindre, remettant en cause des principes fondamentaux de notre droit, tels que le secret de l'instruction, et publicisant les faits divers en une remarquable nourriture cathodique.
Telle est l'évolution dont il sera fait état, portée entre le paradoxe d'une caméra juridiquement tenue éloignée des prétoires (I), mais qui n'a de cesse, dans les faits, de traiter du cours de la justice au sein d'émissions de chronique judiciaire (II).
[...] Essai sur le rituel judiciaire, Paris, Odile Jacob, coll. Opus S. Guinchard, Les procès hors les murs in écrits en hommage à Gérard Cornu, Paris, PUF E. Halphen, Sept ans de solitude, Paris, Denoël J.-P. Jean et D. Salas, Barbie, Touvier, Papon. Des procès pour la mémoire, Paris, Autrement, coll. Mémoires n°83 E. [...]
[...] Le 14 décembre 1996 avait lieu le dernier épisode de Témoin numéro un. Officiellement, l'émission n'attirait plus suffisamment de téléspectateurs et souffrait d'une usure de sa formule. En réalité, il semblerait que cette disparition soit principalement imputable à la concurrence qu'entretenait l'émission avec les institutions officielles. Au même moment disparaissaient en effet d'autres émissions (notamment Perdu de vue) qui transformaient la télévision en acteur gênant de la vie institutionnelle. En effet, bien que très utile car touchant un public fort large, la télévision fait montre d'une tendance naturelle à s'ériger en contre- institution dès lors qu'elle a pris conscience de son pouvoir[53]. [...]
[...] La télévision devient le média le plus influent. C'est également au cours de cette décennie que les acteurs des deux mondes, le monde judiciaire et celui des médias, vont entamer un important rapprochement. Ainsi, J. P. Berthet[34] est nommé directeur de session à l'école nationale de la magistrature et y enseigne les méthodes de communication. De même, le syndicat de la magistrature entame dès sa naissance, en 1968, une forte politique d'information, qui se destine notamment aux journalistes. Ces derniers seront également de plus en plus formés aux subtilités du monde judiciaire au sein des écoles professionnelles ou des universités. [...]
[...] Paragraphe 1 - Un cadre libéral de l'après-guerre au milieu des années cinquante Au cours de cette période, seuls les pouvoirs de police de l'audience dont dispose le président de la juridiction de jugement pouvaient venir freiner la présence des caméras au sein des prétoires. Ces dernières ne pouvaient donc être évincées de la salle d'audience que lorsqu'elles risquaient de compromettre la sérénité des débats et de perturber le cours du procès. En réalité, bien peu de présidents usèrent de cette faculté, et nombre d'audiences virent leur déroulement perturbé par la présence de journalistes. Cependant, le développement technologique n'avait pas encore accordé à la télévision la place dont elle dispose aujourd'hui, les médias les plus influents demeurant la radio, et surtout la presse écrite. [...]
[...] MédiasPouvoirs Justice et médias Paris, Bayard Presse, 2ème trimestre 1991. MédiasPouvoirs Justice et médias : un affrontement nécessaire Paris, Bayard Presse, 4ème trimestre 1997. E. Derieux, Les comptes-rendus d'audiences Légipresse, 110, avril 1994, pp. 25-34. J. Fourre, L'enregistrement audiovisuel des audiences de justice Les Petites Affiches, mai 1986, pp. 14-17. [...]
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