Antoine Coypel, rationalisme, mise en scène sociale, siècle des lumières, espace social, théâtre
La transition entre le XVIIe et le XVIIIe siècle est marquée par le rationalisme précédant l'entrée en matière des Lumières françaises, allemandes et anglaises. Comme un écho substantiel aux thèses qui agitent l'esprit de son temps, la peinture d'Antoine Coypel mêle l'illustration théâtrale de l'espace social par des moyens techniques rationnels. Le présent tableau, intitulé L'Ambassadeur du Maroc et sa suite à la Comédie italienne à Paris en date de février 1682, est une bonne représentation de la performance de Coypel dans la figuration théâtrale et rationnelle de ses personnages et de ses scènes. Le peintre est encore jeune : il n'a que vingt-et-un ans, mais montre une maîtrise des thèmes qu'il transmet à son fils vers la fin de sa vie. Cette maîtrise le conduit à approcher au plus près une union de ces thèmes au sein de l'oeuvre picturale.
[...] L'œuvre picturale est une scène théâtrale, tant d'un point de vue interne (elle présente une scène à la Comédie italienne) qu'externe (elle représente une scène sociale et culturelle par excellence). En ce sens, l'œuvre de Coypel est universelle par les thèmes qu'elle aborde et L'Ambassadeur du Maroc assistant au spectacle à la Comédie italienne n'échappe pas à cette perspective philosophique qui dépasse les simples préoccupations picturales : l'esthétique donne à voir une représentation du monde dont Coypel, autant que son siècle, est le porteur pour les générations à venir. [...]
[...] Mais dans le même temps, le spectateur lui-même est conduit à apprécier l'exotisme de ces personnages par cette même mise en relation exotique avec la scène qui s'offre à lui. Si les protagonistes apprécient une scène de théâtre à la Comédie italienne, le spectateur apprécie une scène marocaine en son lieu d'exposition. Les costumes, les turbans, les traits, sont autant d'indices de cet exotisme qui aurait difficilement pu être mis en relief s'il n'y avait pas eu d'indications de cette nature : le personnage à droite du tableau semble en effet être un Français (ou tout du moins Occidental) et présent parmi la délégation marocaine. [...]
[...] II - L'œuvre comme figuration de l'espace social : l'espace social comme théâtre « Il y a en bas, une troupe de gens debout, qui se moquent de ceux qui sont en haut sur le théâtre », écrit Montesquieu dans ses Lettres persanes en 1721 quant à la haute société parisienne du XVIII[e] siècle, « et ces derniers rient à leur tour de ceux qui sont en bas. Enfin on se rend à des salles où l'on joue une comédie particulière : on commence par des révérences, on continue par des embrassades : on dit que la connaissance la plus légère met un homme en droit d'en étoffer un autre ». Coypel prend au mot la remarque de Montesquieu et L'Ambassadeur du Maroc à la Comédie française est une illustration de cette dernière. [...]
[...] En ce sens, Coypel est d'abord un peintre de l'homme et de la nature humaine, et le pouvoir est captivé par le pouvoir : l'Ambassadeur est le premier témoin de la puissance, tout en étant son premier contributeur, son premier spectateur et, en même temps, son premier acteur. Le fait qu'au « premier coup d'œil, ses deux tableaux donnent au spectateur l'illusion d'être transporté à la Comédie-Française, illusion parfaitement réussie et trompeuse, ce qui répond au principe énoncé par De Piles, pour qui la condition sine qua non de la réussite en peinture est `d'attirer les yeux et de les tromper agréablement' », répond à un objectif philosophique : peindre les hommes comme ils sont, et comme la nature a voulu les désigner. [...]
[...] Aussi Coypel n'est-il pas exempt du fait que « le désir de connaître l'autre et de la valoriser est au cœur de la relation exotique, quitte à vouloir ensuite ramener l'autre à soi-même, dans le rêve d'une toujours hypothétique concorde universelle ». Concorde universelle présentée, en soi, dans les soubassements philosophiques de la peinture de Coypel (le mécanisme cartésien valable pour l'organisation générale de la nature), autant que dans les personnages (mélange d'un environnement occidental avec des personnages orientaux) et une harmonie des couleurs, des tons, du clair-obscur et des corps eux-mêmes, qui s'épousent dans leurs formes respectives. [...]
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