Vanessa Bell, Bloomsbury, Woolf, littérature, époque victorienne, xixe siècle, Angélica Garnett, Julian Bell
Il y avait, à Londres, une maison au 22 Hyde Park Gate, où la lumière entrait avec discrétion, tamisée par les rideaux de velours et les conventions victoriennes. Dans cette demeure bourgeoise et feutrée, au coeur du quartier de Kensington, naquit en 1879 Vanessa Stephen. Rien ne semblait devoir ébranler l'ordre paisible de cette famille raffinée, instruite, et, déjà, marquée par les silences — ceux de la bienséance autant que ceux du chagrin.
Vanessa était l'aînée de quatre enfants : Thoby, Virginia, Adrian. Une fratrie singulière, douée, brûlante, à la fois unie et vouée à s'arracher au monde tel qu'on l'avait connu. Leur mère, Julia, belle et douce, issue d'un premier mariage, portait encore les ombres de ses douleurs passées. Leur père, Leslie Stephen, veuf également, érudit, respecté, mais écrasant par sa rigueur et son culte du travail intellectuel, tenait la maison sous l'emprise du savoir et de la mélancolie. Il régnait dans ce foyer une beauté sévère, une forme de luxe morne, et l'on parlait plus volontiers des morts que des plaisirs.
Mais il y avait aussi des échappées. Chaque été, les Stephen quittaient Londres pour rejoindre Saint-Ives, en Cornouailles. C'est là, face à la mer, que l'enfance de Vanessa trouva ses couleurs premières : le bleu éclatant du ciel au-dessus de la baie de Porthminster, le vert des prairies douces qui ondulent jusqu'à la falaise, les tons chauds du sable sous le soleil bas. Saint-Ives n'était pas seulement un décor, c'était un autre monde, une promesse d'air libre. Un paradis fugitif, où naîtraient plus tard les premières pulsations d'un regard d'artiste.
Virginia, sa cadette de trois ans, fragile et fulgurante, deviendra l'écrivaine que l'on sait. Mais c'est Vanessa, la discrète, la silencieuse, qui, la première, trouva une forme pour ce chaos d'émotions : la peinture. Les deux soeurs, si différentes, si proches, étaient déjà, dans l'enfance, deux astres en orbite autour d'un même noyau incandescent — la mémoire, le deuil, la beauté, le besoin de créer.
À l'aube du XXe siècle, le monde s'apprête à changer. L'Angleterre victorienne s'efface peu à peu sous les pas d'une génération qui refuse de se soumettre. Au coeur de ce basculement, Vanessa Bell va se forger une place singulière, à l'écart du bruit mais au plus près de la lumière. Voici son histoire.
[...] Il y avait en elle une tension constante entre la retenue apprise et le tumulte intérieur. Elle aimait sans bruit, souffrait sans plainte, et déjà, transformait l'émotion en forme. La mort rôdait comme une s?ur jumelle. Julia, la mère, incarnation d'une grâce fanée, s'épuisait à veiller sur tout le monde. Elle était le c?ur de la maison, son mystère aussi. Quand elle mourut brutalement en 1895, Vanessa n'avait que seize ans. Le deuil fut immédiat, mais silencieux - on ne pleurait pas chez les Stephen. [...]
[...] Elle peignait la vie autour d'elle comme d'autres la racontaient en mots. Elle n'avait pas l'urgence verbale de Virginia, ni l'intensité théâtrale de leurs amis. Elle avançait avec une douceur entêtée, une patience de pierre. C'est par la peinture qu'elle entrait dans le monde, et c'est par elle qu'elle allait se révéler. Dans ses premiers portraits, on sentait déjà une tendresse grave, une attention au geste, à la posture, à la lumière sur la peau. Elle peignait ceux qu'elle aimait - et c'est ainsi qu'elle les comprenait. [...]
[...] Après Julia, ce fut Stella, la demi-s?ur adorée, puis Thoby, le frère si brillant, qui disparurent tour à tour. Chaque deuil forgeait chez Vanessa une gravité nouvelle, un silence plus épais, une nécessité plus grande de créer. Tandis que Virginia sombrait parfois dans la folie, Vanessa tenait. Elle devint, par la force des choses, le pilier discret, la protectrice, la figure stable de la fratrie disloquée. Mais déjà, une autre vie s'annonçait. Au tournant du siècle, le monde des pères s'effondrait lentement, et Londres s'ouvrait à une modernité qui n'avait pas encore de nom. [...]
[...] Vanessa l'aimait profondément, mais avec cette pudeur qui la caractérisait : peu de gestes, des silences pleins, une présence constante mais jamais envahissante. Elle peignait sa fille comme on tente de retenir une forme mouvante. Les portraits d'Angelica, souvent graves, comme détachés, disent cette ambivalence - beauté contemplée, mais peut-être non possédée. Lorsque la vérité fut révélée - tard, bien trop tard - ce fut une faille. Angelica en sortit blessée, heurtée dans la trame même de son identité. Elle se sentit trahie, niée dans ce droit fondamental à savoir d'où l'on vient. [...]
[...] Vanessa était l'aînée de quatre enfants : Thoby, Virginia, Adrian. Une fratrie singulière, douée, brûlante, à la fois unie et vouée à s'arracher au monde tel qu'on l'avait connu. Leur mère, Julia, belle et douce, issue d'un premier mariage, portait encore les ombres de ses douleurs passées. Leur père, Leslie Stephen, veuf également, érudit, respecté, mais écrasant par sa rigueur et son culte du travail intellectuel, tenait la maison sous l'emprise du savoir et de la mélancolie. Il régnait dans ce foyer une beauté sévère, une forme de luxe morne, et l'on parlait plus volontiers des morts que des plaisirs. [...]
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