On connaissait la musique politique, la musique engagée, la dimension de subversion que pouvait avoir certains mouvements musicaux ; finalement simplement parce qu'ils émanent de mouvements sociaux dont ils sont l'expression la plus entraînante et bruyante. Quoi qu'il arrive, c'est toujours, sciemment ou non, à l'encontre de l'establishment, du pouvoir en place, de suprématie d'une culture sur une autre, d'un groupe sur un autre, etc., que s'élèvent ces voix qui rappellent l'existence d'autres voies. La culture, et plus particulièrement la musique, peuvent donc être des armes offensives dans ce qu'elles expriment.
Mais la musique peut être également chant de sirène, cheval de Troie, sourde ruse, secret d'Etat : ses charmes envoûtent. Elle n'est plus simplement un cri de guerre ou une bonne leçon de morale, mais une expression inouïe, qui attire vers l'autre, rend l'extrême altérité simplement curieuse. Et on « entend » enfin l'autre, on l'écoute, un point d'entente s'amorce pour un éventuel accord. Sans être forcément politique dans ce qu'elle « dit », la musique peut donc bouleverser. On pense tout de suite aux premiers rythmes de jazz puis aux premiers pas de rock'n'roll dans une Amérique – et un Occident – à contretemps d'un mouvement de fond qui allait pourtant y naître et l'informer de son existence, c'est-à-dire le changer de l'intérieur et y mettre les formes.
Ils sont relayés aujourd'hui par les « musiques actuelles » – la techno, le hip-hop et la world music – dans une société mondiale – mondialement dominante surtout – urbaine, informatisée, multiculturelle et « anglophonique ». Ce qu'on appelle les « musiques actuelles » n'est rien d'autre que ces musiques amplifiées, celles qui sont nées, et continuent à naître, avec un objet, le micro ; avec un instrument, donc finalement, l'électronique. Or, tout instrument de musique témoigne de son époque : en l'occurrence une époque où le développement des technologies de l'information et les proportions de la médiatisation font depuis longtemps déjà parler certains d'« idéologie de la communication » et de « société du spectacle ». Le monde littéralement enchanté de fée électricité… Seul couac, la world music vient du vaste inconnu extérieur parler à notre petit lointain intérieur, la techno naît d'un pillage de sons rassemblés, comme on l'écoute en free parties, « pas dans les règles » et le hip-hop parle mal à ceux qu'il fait danser.
Ce qui pose réellement problème en cette heure de libéralisation des industries culturelles n'est plus donc le message qu'une musique peut véhiculer : on peut vendre et marqueter la rébellion. Le vrai débat politique est passé de la défense ou l'interdiction de musiques politiques à la défense ou l'interdiction de politiques de la musique. A l'heure du tout-marchandise, en effet, les industries culturelles soulèvent de véritables problèmes. C'est qu'on a trop souvent tendance à brader l'épithète « culturelles », alors que c'est uniquement de culture qu'il est question.
Au sein de ces industries culturelles, la musique ne fait pas forcément couler beaucoup d'encre et reste le parent pauvre des considérations sur l'avenir de la culture face à une « mondialisation qui concerne de plus en plus la culture » . Comme l'ont très bien souligné Edith Brénac et Bruno Jobert dans leur rapport sur Les Soutiens Publics à l'Industrie Phonographique, « le terme même d'« industries phonographiques » est significatif. Alors qu'on évoque le cinéma comme « septième art », et que les aides publiques à l'édition relèvent d'une « politique du livre », le recours ici au mot « industrie » joue un rôle, certes indirect et diffus, de « déculturation » de l'activité des éditeurs de phonogrammes, qui apparaissent comme des industriels, au profit desquels une intervention du ministère de la culture perd de sa légitimité. Imaginerait-on d'englober édition et librairie sous le terme d'« industries éditoriales » ? » Et ceci pour une raison simple : la musique fonctionne et est organisée en une immense industrie mondiale sans ancrage national apparent. Il est donc plus difficile pour un Etat de se rendre compte des enjeux qui en découle car il ne s'agira pas, par exemple, simplement de défendre le cinéma français contre la suprématie d'Hollywood. Les enjeux sont donc globaux et beaucoup moins facile à cerner que dans le cas du cinéma ou du livre.
[...] De cet ensemble émergent tous les ingrédients d'une véritable politique culturelle internationale où tous les pendants (l'économique, le culturel et le politique) sont réunis et s'amalgament. Les aides spécifiques de chaque organisme impliqué sont d'ailleurs cumulables entre elles. Si l'ensemble peut paraître un peu flou dans ses logiques internes, c'est qu'il est le fruit d'une histoire chaotique et commence à peine à se structurer. Reste qu'aux vues des résultats obtenus, le dispositif semble fonctionner 2 Des succès certains à l'export 2 1 Une augmentation spectaculaire des ventes à l'étranger. [...]
[...] travaille à la promotion des industries musicales françaises à l'étranger notamment par le biais de son soutien à deux opérateurs principaux : le Bureau Export de la Musique Française et Francophonie Diffusion. Le Bureau de la politique culturelle et artistique représente la Direction de la coopération culturelle et du français auprès du Bureau Export de la Musique Française et siège au Comité Export ainsi qu'à la Commission Export. Chargé d'élaborer et de mettre en œuvre programmes et projets dans les domaines de la coopération culturelle et artistique internationale, il est responsable des orientations et du suivi des activités de l'A.F.A.A., à laquelle il apporte l'essentiel de sa subvention. [...]
[...] C'est par exemple, là encore, une mission du Bureau Export de la Musique Française : un responsable export d'un label français a la possibilité de contacter directement l'antenne du Bureau Export dans la zone géographique concernée pour que cette dernière le mette en relation avec les professionnels les plus à même à répondre à sa demande (mise en contact avec un autre label/distributeur du genre musical concerné qui travaille régulièrement avec des producteurs étrangers, etc.). Cette volonté publique de présence au monde est également palpable dans les opérations de soutien des productions culturelles étrangères. L'AFAA, par exemple, organise annuellement des saisons placées sous le signe d'un pays en particulier. C'est alors une promotion et un soutien dans tous les domaines artistiques qui est mis en place pour que pendant une année, la France chante, pense, danse, lise, regarde et écoute l'autre pays. [...]
[...] On constate ici que l'action des sociétés civiles est dirigée principalement vers les structures professionnelles du secteur, excluant de fait une grande partie du secteur artistique, notamment les amateurs et certains groupes pré-professionnels. Cette logique se retrouve également au sein du deuxième programme d'aide à la production discographique développé par le FCM. Le deuxième programme est axé sur l'aide à la production discographique de variétés. Destiné en priorité aux artistes d'expression française, ce programme se situe dans le cadre d'un soutien à l'émergence de nouveaux talents[89] en incitant les producteurs à la prise de risque. [...]
[...] 1 La musique, une marchandise pas comme les autres. La musique est une marchandise pas comme les autres dans la mesure ou elle possède un certain nombre de caractéristiques économiques communes aux biens dits culturels Ces caractéristiques peuvent, et c'est, entre autre, la position française, justifier qu'on lui accorde un statut d'« exception et notamment, qu'on tolère, en ce contexte de libéralisation mondialisée des échanges, une intervention de la sphère publique pour aider les entreprises de son secteur a plusieurs niveaux. [...]
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