Elias tente de montrer qu'en tant que sociologue on peut s'intéresser au plus individuel de l'individuel : le génie. Il fait du génie un cas limite, comme procèdent Emile Durkheim avec le suicide ou Goffman avec la folie. Cet intérêt pour le cas Mozart s'inscrit également dans une autre perspective : la volonté celle de montrer qu'il y a des individus qui sont des individualités dans le processus de civilisation. Mozart est une singularité qui nous dit quelque chose sur l'organisation globale du social.
Le point de départ de l'ouvrage est l'idée selon laquelle Mozart désire quelque chose qui est socialement impossible, inimaginable : il veut être un artiste à une époque où les musiciens sont des domestiques pour les souverains européens : « Mozart prit la décision de s'établir comme "artiste indépendant" à une époque où la structure sociale n'offrait pas encore de place pour un musicien de premier plan. »
[...] La notion d'interdépendance est au cœur même de la théorie d'Élias. Il l'explique ainsi : Comme au jeu d'échecs, toute action accomplie dans une relative indépendance représente un coup sur l'échiquier social, qui déclenche infailliblement un contrecoup d'un autre individu (sur l'échiquier social, il s'agit en réalité de beaucoup de contrecoups exécutés par beaucoup d'individus) limitant la liberté d'action du premier joueur Une sociologie historique Cette volonté de lier individu et social, nécessite, selon Elias, de penser une historicité, d'inclure une historicité dans la théorie. [...]
[...] On ne parle de sa sociologie qu'à partir des années 1970. Sa thèse sur la société de cour, rédigée en 1933 (mais jamais soutenue), tout comme son premier ouvrage sur le processus de civilisation paru en allemand, à Bâle, à la veille de la guerre, ne furent publiés qu'en 1969. Très tardivement traduits en anglais (Sur le processus de civilisation ne le fut qu'en 1978 et 1982), ses ouvrages ne le furent en français que plus tardivement encore. Si Elias émerge en France, c'est notamment par l'utilisation qu'en fait Bourdieu à partir des années 1980. [...]
[...] Dans son étude sur Mozart, Elias écrit : La sociologie est pour moi une science qui doit nous aider à mieux comprendre et à expliquer ce qui nous paraît incompréhensible dans notre existence sociale Il s'agit de mettre à jour la structure du désordonné Dans cette perspective, Elias définit une évolution dont les caractères sont opposés à l'évolutionnisme : non linéaire : il peut y avoir retour en arrière, détour, volte-face ; évolution ne signifie pas nécessairement progrès ; on ne peut pas prédire ce qui va se passer : l'étude de l'évolution historique ne doit pas prendre la forme d'une prédiction, l'avenir, contraint par le passé, est toujours ouvert ; il y a toujours indétermination. Pour Elias, le cours des processus sociaux est aveugle (il ne va nulle part), incontrôlable (ne dépend de personne en particulier) mais malgré tout orienté et ordonné. Il n'est pas orienté vers un but mais vers lui- même. C'est pourquoi l'étude du passé historique est indispensable. [...]
[...] L'individu voit son libre arbitre réduit. Il apparaît, au contraire de la sensation de liberté qui nous est chère et que nous sommes tentés de prêter à chacun, produit et jouet de structures L'explicitation des conditions d'une expérience ou l'observation de corrélations entre le comportement de l'acteur et celui de ses semblables semblent ainsi anéantir les facultés propres au grand homme : et cet attentat fait particulièrement scandale dans le cas du créateur Néanmoins, Mozart est sauvé par la postérité : au fur et à mesure que se développe la possibilité de considérer une œuvre musicale comme telle, la réputation de Mozart grandit. [...]
[...] Mozart apprend avec une facilité déconcertante. Elias se penche sur l'image de soi de Mozart. Ce qui fait sa singularité, c'est la grandeur musicale qu'il pense être la sienne et la petitesse de son rang social : Mozart vécut l'ambivalence fondamentale de l'artiste bourgeois dans la société de cour, qui peut se ramener à la formule suivante : identification avec la noblesse de cour et son goût, amertume d'être humilié par elle En s'appuyant sur une théorie des rapports entre établis et marginaux, Elias donne de la densité à son analyse de l'ambivalence du rapport de Mozart à la société de cour : Le désir suprême [des marginaux] est bien souvent d'être reconnus comme pares inter pares justement par les groupes établis qui les considèrent et les traitent si ouvertement comme inférieurs Le musicien estime que socialement, il n'est pas reçu à la hauteur de son talent. [...]
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