L'opéra est un art qui a depuis toujours suscité de vives discussions. Adulé ou conspué de par sa nature particulière, à multiples facettes, il nourrit et a développé un imaginaire riche, mais également de nombreuses remises en question. Théophile Gautier, dans l'une de ses premières critiques dramatiques (1837), le définit en ces mots : « Le charme principal de l'Opéra, charme dont on ne se rend pas compte, et qui le fait demeurer debout entre les ruines des autres théâtres, c'est que nulle part la convention n'est aussi forcée ni aussi éloignée de la nature. En effet, quoi de moins naturel que de voir un conspirateur recommander le silence en chantant à tue-tête ; une femme affligée exprimer son désespoir en faisant des cabrioles ! Cependant tout cela fait un plaisir infini, pourquoi ? Parce qu'il y a de l'art, du travail, de la difficulté vaincue, et qu'on sent qu'il n'est pas possible, avec l'alphabet de la musique ou de la danse, de rendre plus exactement la joie ou la douleur. C'est ce besoin sourd de se soustraire à la vie de tous les jours qui pousse la foule à l'Opéra, lequel finira par devenir pour les populations modernes, le lieu attrayant et central ».
Cette définition « admirative » de l'opéra soulève alors une question fondamentale : pourquoi et dans quelle mesure prend-on du plaisir à l'opéra, en tant qu'art polymorphe, univers d'extrême artificialité et de conventions et lieu particulier répondant à des codes précis ? Autrement dit, qu'est-ce qui nous attire ou nous repousse dans l'essence-même de l'opéra ? Tout d'abord, il semblerait que cet art total en rassemblant la poésie, la musique et la danse parlerait alors directement à notre être, provoquant des émotions, mais aussi de l'admiration face aux difficultés techniques. Cependant, les conventions et l'artifice sont omniprésents, ce qui peut engendrer à la fois de l'émerveillement mais aussi repousser et agacer. Enfin, l'opéra, cette fois en tant que lieu, est un « monde dans le monde », un microcosme de la société qui est socialement marqué, codé.
[...] L'alliance de ces deux arts permet donc de rendre au mieux les passions humaines. Dans la Tétralogie, chaque personnage est associé à un thème musical autonome dont les variations indiquent son climat psychologique : avec ce concept de leitmotiv, il approche encore plus de l'art total, avec une musique reflétant le caractère du personnage et ses sentiments avec le chant et l'action théâtrale. De plus, le rôle de l'orchestre consiste selon la formule de Wagner, à exprimer l'inexprimable ».Lorsque parfois sur la scène l'acteur se tient immobile et sans voix, la continuité de l'action dramatique n'est plus assurée que par la musique instrumentale. [...]
[...] Ainsi que l'affirme Gautier, la danse et la musique sont les arts qui provoquent le plus directement et le plus précisément chez le spectateur des émotions, des sensations, des sentiments. Alors que le premier implique directement le corps, le second, substance abstraite, intouchable et seul art à ne pas avoir trait au monde matériel s'adresse directement à notre âme. La musique, hormis quand elle est imitative, ne dit pas ou ne montre pas comme le font les arts figuratifs ou la poésie, mais suggère et évoque. [...]
[...] Malgré son rêve d'être fait par et pour le peuple, il subsiste un préjugé qui fait de l'opéra un art éminemment bourgeois, destiné à une certaine élite sociale. Il fut une époque où toutes les castes sociales se mélangeaient pour se divertir et s'émouvoir ensemble, mais organisée dans une stricte hiérarchie. Cependant, il n'en demeurait pas moins un art et un lieu populaire où l'on pouvait discuter et bouger lors des représentations, un endroit vivant. C'est au XVIIe siècle que commencent déjà à se définir les classes sociales par lesquelles, dans une salle d'opéra, une société se représente et se mélange. [...]
[...] De plus, les opéras montés datent principalement des siècles précédents, et pourraient sembler ne pas être en adéquation avec les soucis et les goûts des contemporains : cependant, la force des grands opéras réside dans leur intemporalité, et c'est pourquoi on voit fleurir maintenant des mises en scène modernes qui replacent dans un contexte temporel et socio- culturel des œuvres écrites il y a quelques siècles. Enfin, le cliché de l'opéra en tant qu'art réservé à une certaine élite sociale et intellectuelle reste ancré dans les esprits. [...]
[...] L'opéra est un spectacle qui provoque du plaisir, car il éveille à la fois les sens et en quelque sorte la raison face à la réussite des difficultés techniques surmontées. Le plaisir rencontré lors d'un spectacle à l'opéra peut également trouver son origine dans la dimension sexuelle du chant lyrique : en effet, certaines vocalises évoquent clairement la jouissance, au-delà des mots incompréhensibles dans le registre suraigu. Cependant, les conventions éloignées de la nature cette facticité qui concerne l'essence même de l'opéra, peuvent susciter des réactions plus partagées. [...]
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