Le Beethoven de Wagner est initialement un texte de circonstances, rédigé pour célébrer le centenaire de la naissance du grand compositeur, mais qui est en même temps l'occasion de récapituler les acquis que Wagner tire de son maître philosophique revendiqué : Schopenhauer. On sait que celui-ci a eu une influence décisive sur Wagner (les ouvrages de Schopenhauer partagent la meilleure part de sa bibliothèque avec les œuvres de Beethoven et Kant) et qu'il a été à l'origine d'un changement radical d'optique du compositeur à partir de 1854 comme nous l'indique le précieux ouvrage d'Edouard Sans, Richard Wagner et la Pensée schopenhauerienne. Ce texte de 1870 fait le point sur l'admiration que Wagner a témoignée toute sa vie à Schopenhauer, via un essai sur la musique de Beethoven, ce qui n'est pas sans poser de problèmes. Il est donc tout à fait intéressant de se pencher sur ce texte très dense, afin de mesurer l'ampleur et la profondeur d'une des influences les plus explicitement revendiquées. La question fondamentale est donc de savoir en quoi la figure de Beethoven est le moyen pour Wagner d'appliquer et de vérifier, de tester, ou même de faire progresser la théorie schopenhauerienne de la musique. Une adhésion tout à fait entière, avec une influence rarement aussi perceptible dans toute l'histoire de la pensée, mais non dénuée d'innovations. Wagner serait-il plus schopenhauerien que Schopenhauer ?
[...] Wagner serait- il plus schopenhauerien que Schopenhauer ? I Une adhésion enthousiaste et entière à la philosophie de Schopenhauer Il est étonnant de voir à quel point le texte du Beethoven reflète une adhésion pleine à la philosophie de Schopenhauer, que Wagner n'a pourtant jamais rencontré, ayant sans cesse repoussé ce qu'il nomme lui-même l'un des actes les plus importants de vie dans sa correspondance. Une véritable vénération s'en dégage : Wagner a toujours eu pour but de suivre pas à pas la doctrine du Monde concernant la musique. [...]
[...] Il affirme d'ailleurs que la musique est très strictement codifiée en chiffres La musique, domaine des rêves La musique et les différentes strates du rêve Certes Schopenhauer lui-même parle du rêve et du somnambulisme et dresse un parallèle avec la musique : Le compositeur nous révèle l'essence intime du monde [ ] et dans une langue que sa raison ne comprend pas ; de même la somnambule dévoile, sous l'influence du magnétiseur, des choses dont elle n'a aucune notion lorsqu'elle est éveillée C'est Wagner lui-même qui souligne l'importance accordée au rêve par Schopenhauer : Schopenhauer en conclut, avec tant de persuasion, à la possibilité de rêves fatidiques, prophétiques [ ] ; il va même, dans des cas extrêmes, jusqu'à admettre la lucidité somnambulique Mais Wagner semble aller plus loin dans cette interprétation. En effet, d'après Schopenhauer, l'activité du rêve est essentiellement une activité visuelle, comme cela transparaît dans le paragraphe 5 du Monde (Livre I). [...]
[...] C'est ce qui permet notamment à Wagner de formuler les rares reproches qu'il adresse à Schopenhauer, qui finalement se concentrent en un point : le fait de ne pas porter sur la musique un jugement professionnel, du fait du manque des outils techniques nécessaires à l'élaboration d'un tel jugement. Il écrit en effet : si [Schopenhauer] n'a pas pu aller plus au fond [de son explication] c'est uniquement parce que, profane, il n'était pas assez familiarisé avec la musique et que, en outre, la connaissance qu'il en avait ne lui permettait pas encore de comprendre entièrement le musicien qu'était Beethoven. [...]
[...] Il reconnaît que la poésie et l'action scénique ont une place dans un opéra, mais en même temps il qualifie péjorativement ce type de musique car pour lui elle ne saurait amener au recueillement auquel la musique instrumentale aboutit. Au contraire, le drame en lui-même est modifié par les lois et les structures de la musique : le reste n'est qu'un ajout, toujours au risque de dénaturer l'élément principal. On trouve bien là un écho de ce que Schopenhauer affirme du rapport sons-images : sur une musique, l'imagination s'active et crée des images qui se superposent aux sons, mais sans que la moindre analogie entre les deux types de phénomènes puissent se produire. [...]
[...] Wagner en fait lui une activité auditive. Il reprend l'option d'une explication physiologique du phénomène du rêve : il y a un organe du rêve qui capte essentiellement pour lui les sons, qui pénètrent jusqu'à cet abîme de nuit Ainsi il y a dans notre conscience un monde du son à côté d'un monde de la lumière Aussi à l'activité cérébrale des yeux (provoquée par des phénomènes extérieurs à l'organisme) correspond l'état de veille et à l'activité cérébrale de l'oreille (provoquée par des phénomènes intérieurs à l'organisme) l'état du rêve. [...]
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