La mise en scène est depuis un siècle un art à part entière. Mettre en scène une composition d'un autre auteur est donc comme une réécriture, car il s'agit d'une interprétation très personnelle de l'œuvre. On analyse donc les différentes « formes de visibilité des pratiques de l'art ». Dans la musique, cela est très caractéristique, et depuis toujours les œuvres des grands compositeurs sont reprises, déformées, récrites, et c'est pourquoi elle est concernée par ce « partage du sensible » dont parle Jacques Rancière.
C'est dans cette optique que nous allons étudier des mises en scène de Wagner, du XIXe et XXe siècle. Le sujet étant vaste, on se limitera à la mise en scène de la Tétralogie, avec les changements que le metteur en scène Adolphe Appia a effectués sur la version initiale de Wagner. Ce court dossier n'a pas la prétention de présenter une analyse approfondie des mises en scène de Chéreau et Appia, mais va tenter de montrer en quoi, tout en respectant le texte et la musique de Wagner, il est possible de proposer une interprétation personnelle qui relève des « formes de visibilité » des rapports entre les œuvres.
[...] Or, Wagner qui est convaincu de l'importance de la mise en scène conçoit de façon réaliste ce qui apparaît à la vue, contrairement à l'essence de son drame. Et le principe représentatif adopté par Wagner ne convient pas au théoricien. L'idéale souplesse d'un spectacle expressif est une notion qu'il semble n'avoir jamais abordée. Pour lui ce qui se passe sur la scène s'y passe toujours en réalité Le Ring est un spectacle de paysages, où la nature se déploie du début à la fin. [...]
[...] C'est d'ailleurs dans le Ring que le compositeur a poussé le plus loin son système de motifs fondamentaux. Ceux- ci ont certes le rôle de l'évocation littérale, mais ils donnent aussi une souplesse à la forme musicale. Et par le leitmotiv, l'orchestre se fait narrateur et commentateur de l'action. Le Ring a connu une gestation de presque trente ans, entre sa première esquisse et sa création. Le premier scénario en prose date d'octobre 1848 : Le Mythe des Nibelungen comme esquisse pour un drame. [...]
[...] En 1882, il assiste à Bayreuth à la représentation de Parsifal, mis en scène par Wagner. Ce spectacle, comme d'autres représentations de l'époque, le déçoit, il le juge artificiel et suranné. Il se consacre alors à la théorie de la mise en scène, voulant la révolutionner. Son premier ouvrage, La mise en scène du drame wagnérien (1895), précéda son œuvre fondamentale, La musique et la mise en scène, publiée en allemand en 1899. La particularité essentielle de la mise en scène des drames de Wagner est bien évidemment la musique. [...]
[...] Et tout ce qui a pu choquer les spectateurs, il l'a expliqué et justifié par un passage du texte. Le célèbre exemple des filles du Rhin habillées en prostituées est tout à fait caractéristique. Il justifie ce choix par la scène suivante, où Fricka dit : De l'engeance aquatique, / je ne veux rien savoir : / elles ont séduit au bain / (pour mon chagrin), / plus d'un homme déjà par leurs intrigues amoureuses ! C'est cette réplique qui lui suggère cette image visuelle forte, ainsi que les rapports entre les filles du Rhin et Alberich. [...]
[...] Tout en restant dans l'idée générale de Wagner, le metteur en scène du centenaire va parfois contre le texte du maître pour exprimer ses propres idées. Il s'inspire le plus souvent des indications scéniques, mais aussi, et surtout, du texte plus implicite. Et c'est sa propre lecture du texte qu'il traduit sous nos yeux. Mais Wagner ne fait pas des opéras comme les autres, aussi est-il intéressant de regarder comment mettre en scène ses singularités, comme le leitmotiv. Est-il possible, est-il bon de lui donner un écho, une quelconque conséquence sur scène, et si oui, comment ? [...]
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