Il y a des œuvres d'art - oui, mais qu'est-ce qu'une œuvre d'art ? Comment expliquer qu'entre deux objets d'apparence proche, ou qui ont été produits de façon quasi similaire, nous soyons capables de différencier une œuvre d'art d'un autre type d'objet ? Voilà déjà un problème bien épineux sur lequel beaucoup de philosophes et de théoriciens se sont penchés, et il y a presque autant de réponses que de penseurs, certains étant allés jusqu'à changer la question elle-même (devenue le fameux “quand y a-t-il de l'art ?” goodmanien).
Dans L'histoire de l'art comme discipline humaniste, Panofsky définit l'œuvre d'art comme “un objet créé de main d'homme, qui sollicite une perception d'ordre esthétique”. Cette définition est extrêmement large, supposant un artefact humain et une activité du côté du récepteur “percevant” qui se trouve face à l'objet. Alors, y a-t-il une classe d'objets appartenant à l'art en leur essence ou le concept d'art se trouve-t-il seulement dans la façon dont le spectateur perçoit l'objet ? Qui décide qu'un objet est une œuvre d'art et comment la reconnaissons-nous en tant que telle ?
[...] Mais si un conservateur de musée venait à déclarer que ce tapis est une oeuvre d'art et le prenait pour l'exposer, il changerait de statut. Cette théorie a le mérite de résoudre clairement un problème insondable, mais sa faiblesse est aussi le corollaire de cette simplicité : certes, nous acceptons comme oeuvre d'art tout objet exposé dans un musée ou étiqueté “oeuvre d'art” par une personne ayant autorité en la matière, mais il n'empêche qu'on peut reconnaître une oeuvre en dehors de ce cadre, et qu'on peut avoir très nettement l'impression qu'un objet n'est pas de l'art malgré l'affirmation contraire d'un conservateur de musée. [...]
[...] Et des copies ? Est-ce qu'un tableau original est de l'art et la copie de ce tableau réalisée par un autre peintre de l'artisanat ? On voit qu'une oeuvre d'art est reproductible et que certains ouvrages d'artisanat compliqués seront difficiles à reproduire, autant qu'un tableau ou qu'une sculpture que nous acceptons sans nous poser de question comme “oeuvres d'art”. Quant à l'artisanat, est-il pure technique ? L'artisan peut faire preuve d'invention dans son ouvrage et certains des objets qu'il crée sont très ouvragés. [...]
[...] On rejoint ici les idées d'institutionnalisation de l'art goodmaniennes. Weitz pense l'art comme concept ouvert Il l'illustre par l'exemple de la “tragédie” : on ne peut faire de l'art un concept clos car il n'y a pas d'exhaustivité, il est toujours en mouvement et nous décidons à chaque oeuvre d'étendre ou non ce concept à de nouvelles hypothèses. Fermer le concept serait terminer l'art, tout comme le fait de définir la tragédie grecque a été la fin de ce type de production : depuis que le concept est clos, nous n'en avons plus jamais écrit une seule. [...]
[...] Qu'est-ce qui la sépare de la pierre du musée de géologie ? Est-ce que le fait de l'avoir choisie, ramassée, éventuellement nettoyée, puis institutionnalisée en l'exposant dans un musée d'art en tant qu'art suffit à en faire un artefact humain ? L'oeuvre d'art est un artefact humain car ce qui fait de lui de l'art n'est pas sa matérialité mais l'intention qui se trouve derrière sa création. C'est un “souvenir témoin” qui a l'intention d'être esthétiquement perçu. En ce sens, se pourrait-il que la pierre trouvée au bord de la route devienne de l'art quand elle est exposée car en la ramassant et en la mettant dans un musée, l'artiste l'a modifiée dans son essence sans en changer l'apparence ? [...]
[...] Il est sans doute juste de dire que notre perception transforme les objets. Est-ce qu'un coucher de soleil est réellement encore un phénomène de la Nature après avoir été peint, filmé et pris en photo tant de fois qu'on croit voir une carte postale en en regardant un ? Finalement, on en vient à se demander si le coucher de soleil n'a pas été tellement transformé par l'Homme à force d'être reproduit qu'on ne puisse plus le voir qu'à travers les schémas que nous avons fabriqués pour le représenter (ce serait ce que Gombrich semble suggérer dans ses Méditations sur un cheval de bois : pour représenter la Nature, nous passons par une autre représentation et pas par le modèle). [...]
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