L'histoire de l'art est une discipline organisée, plutôt jeune puisqu'elle a environ deux siècles. En effet, Vasari ou Winckelmann sont souvent désignés comme les fondateurs de cette discipline, mais ils ne la fondent pas en tant que discours constitué. Les termes d'« histoire » et d'« art » peuvent paraître opposés, et il existe une revendication anhistorique dans la perception de l'œuvre d'art. Cependant avec Marx, notamment dans sa Critique de l'économie politique publiée en 1859, on vient à penser que la production des idées ainsi que les productions dans la conscience, auxquelles appartiennent les oeuvres d'art, sont articulées aux rapports de productions, et ainsi organisent les relations sociales. Un art ou une pensée va donc dépendre des éléments historiques et sociaux.
L'œuvre d'art est donc articulée aux conditions socio-historiques, et c'est ainsi que l'on peut fonder une discipline qui serait l'histoire de l'art. Cette discipline étudie également les processus de création des artistes, la reconnaissance du phénomène artistique par un public, ainsi que le contexte spirituel, culturel et social de l'art. Or aujourd'hui, les œuvres d'art sont devenues des « généalogies discursives », selon la célèbre formule de Recht, c'est-à-dire qu'elles se projettent devant nous accompagner de leur discours.
Georges Didi-Huberman, dans son ouvrage Devant l'image, paru en 1990 dans les éditions de Minuit, s'interroge sur le statut de cette discipline et sur le ton qu'elle adopte.
[...] Mais pour Didi-Huberman, il est allé bien trop loin dans son idéalisme philosophique. Avec Panofsky, l'historien de l'art a pu placer l'autorité du schématisme kantien en tête de tout un développement sur l'art et sur le style. Et en adoptant le ton de la doctrine kantienne, l'histoire de l'art se prive de comprendre ses objets d'un point de vue phénoménologique et anthropologique. Il faut donc ouvrir la simple raison pour pouvoir aller plus loin. Pour sortir des limites de la philosophie kantienne, il faut trouver la faille de la zone où l'objet de savoir n'est qu'une simple image du discours qui le juge. [...]
[...] Quelque chose qui altère le monde des formes représentées ( . Quelque chose qu'il faut bien nommer un symptôme. (p.191). Tenir compte du symptôme modifie les conditions de notre savoir, sa pratique et ses limites théoriques, et ce symptôme ne se donne qu'à travers une déchirure. Ainsi, le symptôme exige de moi une incertitude quant à mon savoir de ce que je vois ou crois saisir. Didi-Huberman prend alors l'exemple de la jeune fille au chapeau rouge de Vermeer[3]. L'expansion de peinture rouge est pour lui un symptôme de peinture : plus je regarde, moins je sais. [...]
[...] Après avoir interrogé la pratique de l'histoire de l'art, Didi- Huberman se demande à quel prix se constitue l'histoire de l'art que nous produisons. Il s'agit là de l'interrogation de sa propre raison. L'histoire de l'art a commencé, au XVIe siècle, par créer l'art à sa propre image, pour pouvoir elle-même se constituer en tant que discours objectif Les vies de Vasari n'ont jamais été remises en question jusqu'au XVIIIe siècle. Et c'est dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, avec Winckelmann, que l'histoire de l'art comprend qu'elle doit mener une réflexion sur son propre point de vue. [...]
[...] Il nous apprend à regarder l'image, à nous laisser saisir par elle en toute simplicité. Il renverse complètement tous les acquis de l'histoire de l'art et nous place devant l'image comme devant quelque chose qui constamment se dérobe, nous laissant en proie à un sentiment d'incertitude. Mais c'est grâce à cette incertitude que l'on peut malgré tout fonder un projet de connaissance, un projet d'histoire de l'art. L'ouvrage est encore trop récent à mon avis pour que l'on puisse en voir un quelconque impact dans la discipline, mais on peut attendre encore quelques décennies, et peut-être les historiens de l'art auront-ils répondu au vœu du philosophe réputé. [...]
[...] Or tuer l'image pour Vasari c'est tuer la mort. En sauvant les artistes de leur seconde mort, en les rendant immortels, il a nié la mort. De même qu'en utilisant le mot de renaissance, il ne dit que la vie, tout comme le titre de son ouvrage. Mais pour Didi- Huberman, il faut au contraire laisser la mort entrer dans l'image, ouvrir l'image au symptôme de la mort. Car c'est là qu'elles nous atteignent, dans la déchirure où se trouve le symptôme de l'incarnation qu'est la mort. [...]
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