Dans la société moderne de l'entre-deux-guerres, l'image photographique devient de plus en plus importante : elle devient presque un emblème de la société en évolution de cette époque, et séduit de nombreux adeptes. Le nombre d'amateurs se multiplie, et la photographie apparaît dans la publicité, les livres, les affiches. Elle envahit massivement l'espace urbain, qui est lui-même en pleine transformation. La ville devient un nouveau lieu de travail pour certains photographes, pour lesquels elle devient un véritable répertoire visuel, offrant autant des approches modernistes permettant le style de la Nouvelle Vision (avec Germaine Krull par exemple), que des approches nocturnes et brutales exploitées par ceux qu'on appelle désormais les photoreporters.
Weegee, que nous allons tenter d'étudier ici, est l'un de ces photoreporters. Né en 1866, de son vrai nom Arthur Fellig (né Usher Fellig en réalité), ce photographe d'origine polonaise émigre en 1876 à New York. Il travaille d'abord dans un laboratoire de photographie, de 1915 à 1935. C'est à la fin de cette période qu'il est recruté par la police comme photographe : équipé d'un émetteur-récepteur réglé sur les ondes de la police de New York, il parvient à prendre sur les lieux de drames des photographies qui deviendront célèbres. Il publie en 1945 un recueil de ses photographies qu'il titre Naked City, et en 1946, Weegee's People. Au même moment il est exposé au Museum of Modern Art de New York. Après 1947 il travaille notamment pour Vogue, Harper's Bazar, Life. On lit souvent que Weegee the famous (le célèbre), comme il se fait appeler, doit son succès à ses vues nocturnes de New York, à ses photos au flash impitoyable qui fixent une part de la cruauté de la vie urbaine. Une rétrospective de son travail a eu lieu au Pavillon Populaire, Esplanade Charles de Gaulle, à Montpellier, jusqu'au 15 septembre 2008, et plus avant à partir de la collection Berinson, au Musée Maillol à Paris, du 20 juin au 15 octobre 2007.
[...] L'un du curieux est tout de même distrait par le photographe et semble nous regarder. On est en plein New York, lieu de chasse de Weegee. Le cinéma, le trottoir et le bas côté, occupent respectivement le haut et le bas de l'image, et Lewis Clothing dont on voit l'enseigne, occupe le coin supérieur droit. Le paysage est restreint au strict minimum, juste pour nous permettre de situer les faits. Avec ce genre de détail, le citoyen lambda un peu plus curieux que les autres au moment où il lirait son journal pourrait se rendre sur le lieu du crime. [...]
[...] Frank Pape derrière ses barreaux nous est inaccessible : le photoreporter si friand de ce genre d'image qu'il traque toute la nuit, si fasciné par ces personnages hors la loi qui défient la morale et l'ordre social, semble mettre une barrière entre nous et le crime, entre lui et le crime. C'est une fascination pleine de frayeur que le photographe éprouve peut-être, en marchant si près des criminels nocturnes de New York. The men, women, and children who commit murders always fascinate me . I will say one thing for the men and women who kill . they are Ladies and Gentlemen . cooperating with me so I will get a good shot of them. Weegee, Naked City. [...]
[...] C'est peut-être la première fois depuis longtemps, ou alors ça ne durera pas. Est-ce là ce que veut nous dire l'artiste ? L'homme est-il là seulement pour nous mettre en garde contre la joie ? On pourrait croire qu'il est là pour dire profitez de l'instant présent, c'est tout ce qu'il vous reste ; et sa mine préoccupée pourrait presque confirmer ses paroles. Peut-être cette photographie est-elle aussi un hommage au courage de ces jeunes femmes se montrant ensemble vêtues comme des hommes quand la mode est plus aux jupes et tailleurs. [...]
[...] Loin de montrer les monstres que voient en eux beaucoup de leurs contemporains, Weegee fait ressortir dans ses photographies toute l'humanité de ces personnes. Les deux femmes sont au bar, elles aiment boire, elles aiment fumer, sûrement retrouver l'ambiance bien particulière du bistrot du coin comme on l'a nommé plus tôt. De même que l'homme derrière elles, qui semble se cacher. Weegee a pris de nombreux clichés de Harlem aussi : il est très sensible à l'injustice faite aux noirs, et il est solidaire, lui-même immigré, des marginaux de son époque, les miséreux, les différents Avec cette photo apparemment innocente et joyeuse au premier abord, il rappelle peut-être que la ville de New York n'est pas celle du rêve américain. [...]
[...] Il ne photographie pas des faits divers, il est là où et quand il faut pour les immortaliser, leur donner une autre vie, une nouvelle consistance, un sens selon sa subjectivité, qui montre toujours derrière la photographie apparente quelque chose de différent à voir. C'est en cela, peut-être, que Weegee peut être considéré comme un artiste. Bibliographie Sites - Frédéric Perrier, Weegee The Famous Transatlantica, 2007:2, Plotting (Against) America, [En ligne]. Mis en ligne le 29 janvier 2008, URL : http://transatlantica.revues.org/document2362.html. - Claude Chastagner, New York, Weegee the Famous Transatlantica, 2008:1, Amérique militante, [En ligne]. Mis en ligne le 20 août 2008, URL : http://transatlantica.revues.org/document4103.html. - Didier Aubert, Pictures at an Execution1 Transatlantica, 2007:2, Plotting (Against) America, [En ligne]. [...]
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