Il semble que le paradoxe perdure en ce qui concerne l'entreprise critique de Diderot : en effet, il faut que l'écriture imite le tableau mais aussi le déforme, le pousse à son point extrême pour pouvoir le critiquer. On aborde ici la question de la continuité imitative entre, d'une part, la nature et le tableau, et d'autre, le tableau et l'écriture de Diderot.
Pour J. Starobinski, critique littéraire de la fin du XIXe siècle, Diderot « a trop souvent donné la préférence à ses figures à lui, aux êtres et aux formes qu'il projetait sur son grand mur, au détriment des toiles accrochées sur les parois du Salon carré. Il s'est trop souvent absenté des tableaux réels (qu'il jugeait insuffisamment imitatifs)». Au contraire, ses « figures à lui » servaient de pont pour atteindre « miraculeusement » la « vraie nature », en recréant de nouveaux tableaux. Ainsi, Diderot substitue la figure d'un narrateur omniprésent à celle d'un peintre absent, transfert de la créativité du peintre à celle du critique.
Alors comment Diderot, à travers l'alliance de ces deux types de création, littérature et peinture, tente-t-il de résoudre le problème esthétique de l'imitation ?
[...] Mais n'oublions pas que ces tableaux absents ces figures propres à [Diderot] on la propriété d'être le résultat d'un travail de fiction littéraire avant que de critique littéraire. Ils permettent le voyage dans l'imaginaire, dans un monde qui puise sa source au sein des scènes que représentent les tableaux. Il s'agit donc plus de faire vivre une histoire d'après un tableau que de faire vivre un tableau grâce à une histoire. Dans la description de La cuisine italienne Diderot ne fait pas recréer un tableau, il lui donne un mouvement, y insère une temporalité, une histoire. [...]
[...] Quoi qu'il en soit, le passage digressif a permis de détourner Diderot de son travail critique pour le rendre narrateur. Ainsi, comme en peinture, l'imitation est nécessaire en critique : il faut veiller à recréer fidèlement les tableaux perçus, mais pour Diderot le consensus entre imitation et recréation est toujours difficile. Comme le prouve le dispositif fictionnel de la Promenade Vernet la frontière entre description et fiction reste floue, tout comme la détermination de quels sont les tableaux réels et les tableaux absents Il est vrai qu' ainsi que l'harmonie l'exigeait les tableaux créés par Diderot débordent du cadre strict de la description. [...]
[...] ] c'est celui de cette femme dont j'ai dit que la gorge était si vraie, qu'on ne la croirait pas peinte Ce qui est beau est avant tout ce qui est bien fait et cela ne s'apprend que par l'imitation de la nature. Et qu'en est-il de spécifique concernant le travail du peintre? C'est d'autant plus vrai en ce qui concerne la peinture. Dans les Essais sur la peinture, Diderot dit de la peinture, certes d'un ton moqueur, qu' il s'agit vraiment bien de meubler sa toile de figures ! [...]
[...] Conclusion bien paradoxale, qui fait de l'imitation de la nature la nécessité première de la peinture mais qui rejette toute autre tentative d'imitation. Il semble que le paradoxe perdure en ce qui concerne l'entreprise critique de Diderot : en effet, il faut que l'écriture imite le tableau mais aussi le déforme, le pousse à son point extrême pour pouvoir le critiquer. On aborde ici la question de la continuité imitative entre, d'une part, la nature et le tableau, et d'autres, le tableau et l'écriture de Diderot. [...]
[...] Au contraire, le tableau qui semble invraisemblable est un ouvrage vicié Dans la même œuvre, Diderot attaque le mélange d'êtres allégoriques et réels qui donne à l'histoire l'air d'un conte : c'est ce défaut qui défigure la plupart des compositions de Rubens Cependant on peut rétorquer que bien souvent, en voulant imiter, la composition des tableaux agit dans le sens inverse, c'est-à-dire que l'œuvre ne devient qu'une imitation grossière : les personnages sont maniérés, les vêtements s'affichent comme costumes, les personnages ne réalisent plus des actions mais jouent des rôles, il n'y a plus de vie, de mouvement, mais une mise en scène théâtrale. C'est là une des grossières dérives de la théorie liant l'imitation au beau. L'excès de vraisemblable devient invraisemblance. Tout ce qui est maniéré est faux Pour J. Starobinski, la manière est l'imagination affranchie de la subordination de la nature Là aussi, il est clair que, même si le critique peut se subordonner au peintre, le peintre, lui, ne peut pas se passer de la nature qu'il imite. [...]
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