Nus de Camden Town, Walter Sickert, chefs-d'oeuvre, portrait, imaginaire du morbide, Virginia Woolf, mort, cadavre, composition morbide, dark fantasy, réalisme, progression
Formé par les structures élitaires du pays, profondément influencé par le Français Edgar Degas (1834-1917) qu'il rencontre à Paris, Sickert n'en est pas moins une référence dans l'illustration picturale des scènes populaires de son temps. Entre la seconde moitié du XIXe siècle londonien et la première moitié du XXe, enchâssé dans le tumulte des boucheries de la Grande Guerre, des exaltations des années folles aux «morosités puissantes» de l'entre-deux-guerres, c'est, avec Walter Sickert, une longue déambulation «où la peinture rompt, et va son chemin dans le pays du silence » selon sa compatriote Virginia Woolf (1882-1941).
Au début du siècle en effet, des années plus tôt, Sickert commençait une série de portraits tout autre, haut fait de son œuvre : les nus de Camden Town. Quartier londonien, grisâtre, entre une écluse du XIXe et un manoir de Kentish finalement immortalisé par les tribulations pastiché du détective Sherlock Holmes, Camden Town éveille, chez Sickert, l'imagerie d'une divagation morbide.
[...] Un an plus tôt, en 1906, c'est par La Hollandaise qu'il exprime son regard hanté d'une sexualité étroitement mêlée à une symbolique de la mort. Encore plus significative, La Hollandaise dépeint une femme d'un âge difficilement caractérisable, au visage brouillé, presque baconien : une face monstrueuse sur un corps de femme charnue, à la cuisse bien en avant, au sein décelable et au regard tourné vers le spectateur. Le malaise est palpable et la scène aurait pu être celle du What shall we do for the rent?, avec un lit de même facture et une scène de nu qui, pour réaliste qu'il apparaisse dans le tableau de 1907, frôlent ici l'imaginaire ou la dark fantasy ; du lit semble en effet se détacher une silhouette, à l'extrémité gauche, qui ressemble à une gargouille à s'y méprendre. [...]
[...] Quant à la lumière, elle laisse deviner quelques heures de réflexion ; peut-on imaginer qu'au matin, au jour levé, le meurtrier ait pris le temps de contempler son œuvre et d'en faire une critique sévère et attentive ? De la relative quiétude brisée par la détresse de l'homme dans What shall we do for the rent? À l'angoissante Hollandaise, la scène est donc celle d'une froide rationalité qu'exaltent les positions symétriques des motifs, les teintes terreuses et toujours ombrageuses utilisées par Sickert et le regard de l'homme, debout face au cadavre, sur un meurtre dont on imagine aisément qu'il est l'auteur. [...]
[...] (Que doit-on faire pour payer le loyer ?) ou The Camden Town Murder est peint dans les mois qui suit. Le nu est source de controverse dès 1907 : ce n'est pas un nu artistique classique et, loin des clichés de la représentation antique ou type Renaissance, le nu est ici une évocation de l'imaginaire du morbide. L'imaginaire du morbide Walter Sickert, What shall we do for the rent?, Londres, National Portrait Gallery De fait, le corps épouse la pénombre de fond par un jeu de contraste ; le sein au premier plan, le corps glabre, livide, contraste avec la seconde personne assise aux côtés de la jeune femme allongée. [...]
[...] Walter Sickert, Mornington Crescent Nude, Londres, National Portrait Gallery Par l'imaginaire que laisse à dévoiler Sickert aux yeux du spectateur, les brisures temporelles et les interprétations ciselées de mystère, les « nus de Camden Town » figurent assurément parmi les chefs-d'œuvre de la littérature peinte, Sickert étant, pour Woolf, un peintre littéraire par excellence. « Grande joie de pouvoir aimer sa peinture », écrit ainsi André Gide à Marc Allégret en 1921 dans une correspondance privée ; « il m'a montré des choses que vraiment j'aurais eu plaisir à avoir ». [...]
[...] Les couleurs y sont certes plus vives ; deux personnages sont en présence, une femme nue et un homme. L'homme s'en tient à la position adoptée en 1906 dans son What shall we do for the rent? et qui reflète un état d'abattement, de résignation, voire de dépression. La femme, nue et dont les traits faciaux demeurent toujours aussi flous, semble le regarder avec complaisance, sans autre forme d'attachement que ce soit. Figure quasiment romaine, qui n'est pas sans rappeler les représentations d'une Vénus dont les cheveux recoupent une couronne de laurier absente. [...]
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