Le récit moderniste est efficace parce qu'il est simple : il se justifie théoriquement par une idée de l'art comme accomplissement de son médium ; il permet de distinguer le "bon" art abstrait du "mauvais" art figuratif ; il permet de distinguer deux éthiques d'artistes, ceux d'avant-garde et ceux qui pactisent avec la société.
Mais la réalité historique est plus complexe ; la distinction entre avant-garde et artistes conservateurs est parfois difficile à faire et l'idée même de modernité est confuse. C'est pour ça qu'il faut déconstruire l'histoire de l'art moderniste et construire une autre histoire de l'art qui rende compte de la complexité de ce qui se passe entre 1850 et nos jours.
D'abord, pourquoi l'idée de modernité est-elle confuse ? Comme on l'a vu, il peut y avoir 3 sens à ce terme ; mais surtout, au XIXème siècle, la modernité signifie 2 choses contradictoires : à la fois la vie des contemporains, la société bourgeoise, le régime capitaliste, la révolution industrielle, toutes choses ennemies de l'art ; et à la fois le rejet du classicisme, de la tradition, du conservatisme, et le goût pour le fugace et le bel aujourd'hui (Mallarmé), bref le mouvement, la vitalité, valeurs qui distinguent l'artiste vivant de l'artiste figé dans l'académie. D'où la modernité des anti-modernes.
Ensuite l'affirmation selon laquelle il y aurait un progrès en art est totalement injustifiée d'un point de vue historique. Dire que la peinture abstraite c'est mieux que la peinture figurative ne tient pas le coup : ce serait dire que Raphaël est moins bon que Mondrian.
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De plus, si c'était le cas, on ne comprendrait pas pourquoi des peintres continuent la figuration malgré la peinture abstraite, et surtout pourquoi des peintres abstraits retournent vers la figuration. Les peintres eux-mêmes n'établissent pas cette hiérarchie.
En réalité, la construction historique de Greenberg est intéressée : comme il défend des peintres abstraits américains, il a intérêt à dire que ce sont les meilleurs. et pour le justifier, il s'appuie sur cette idée que l'art progresse jusqu'à l'abstraction, c'est-à-dire jusqu'aux peintres qu'il défend (...)
[...] Ce n'est pas tout à fait une nouveauté : au début du XVII° s., certains collectionneurs mains recherchaient particulièrement les tableaux de Caravage, à cause de la mauvaise réputation qu'il avait et de l'originalité de son style : . Caravage, Mort de la Vierge Louvre . Ses tableaux refusés par les autorités ecclésiastiques avaient, auprès de ces collectionneurs, encore plus de prix, ce que refusés . Il en est ainsi de la Mort de la Vierge qui fit un gros scandale à cause de la façon très peu révérencieuse de représenter Marie, comme une simple femme (la légende dit même que Carava‐ ge aurait peint une prostituée noyée dans le Tibre) . [...]
[...] En 1919 il vend sa société et fonde une fondation éducative, entiè‐ rement consacrée à l'art moderne, qui deviendra une des + grosses collections d'impressionnistes ; il demandera à Matisse de décorer l'escalier principal de sa fonda‐ tion : . Matisse, danse Mérion, 193233, Fondation Barnes Peggy Guggenheim, qui de 1920 à 1960, achète toute ce qui est d'avant‐garde et consti‐ tue la plus grosse collection privée d'art du : Peggy Guggenheim au Palais Venier dei Leoni, Venise . Elle devient orpheline et très riche à 20 ans . C'est un peu une Paris Hilton des années folles, sauf que Paris Hilton ne collectionne pas d'art contemporain. [...]
[...] Il y a aussi des peintures très figuratives mais qui montrent une réflexion sur ce qu'est la peinture : Magritte, La trahison des images Au début, on ne comprend pas le tableau : il montre une pipe et il dit : ceci n'est pas une pipe Si ce n'est pas une pipe, qu'est‐ce que c'est ? C'est la représentation d'une pe. Autrement dit, ce que montre Magritte dans ce tableau, c'est que la peinture figurati‐ ve ne donne pas accès au réel, qu'il n'est pas une surface transparente à travers laquelle on voit les choses telles qu'elles sont en réalité (par exemple, un portrait n'est pas iden‐ tique à la personne portraiturée). [...]
[...] Pour croître, il ne faut pas se contenter de produire juste ce dont on a soin : il faut produire plus que ce qu'on a besoin. Mais pour absorber ce surplus, il faut créer de nouveaux besoins. Donc il faut susciter le goût pour le nouveau, par la publicité, par la rivalité etc . On voit comment le modernisme finalement est complètement ancré dans le capitalis‐ me : le modernisme valorise aussi le nouveau, le dépassement de l'ancien. [...]
[...] Mais les clients de Caravage étaient en effet de grands aristocrates romains . A la fin du la situation sociale est très différente, puisque la haute noblesse et la grande bourgeoisie se sont confondues et vivent de la même façon . Aussi le sentiment aristocratique, cette volonté de montrer sa supériorité, doit s'affirmer autrement que par le mode de vie, l'habillement, les relations, les situations de pouvoir ; il doit s'affirmer par une valeur non matérielle, qu'on ne peut pas acheter avec l'argent, donc une valeur non bourgeoise : c'est l'art. [...]
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