A côté de cette tendance à l'expression de soi, à l'expansion, au remplissage, il y a une autre tendance dans la peinture des années 50 qui va avoir des échos importants par la suite : toujours dans l'abstraction, mais une abstraction plus sobre, plus réfléchie, plus méditative. On ne peut pas encore parler de minimalisme, puisque le terme apparaît dans les 60s, mais ce sont ses précurseurs qui réagissent au narcissisme maximaliste des expressionnistes.
Aux USA, souvent, ce sont des peintres issus de l'expressionnisme abstrait qui s'orientent dans cette voie opposée, par réaction : ils veulent produire un art qui ne soit pas la trace d'un geste, qui soit du coup plus détaché de leur auteur et par là-même peut-être capable d'exprimer quelque chose qui les transcende. Ce sont d'abord Clyfford Still et surtout Barnett Newman et Mark Rothko.
Ces trois peintres commencent par une influence surréaliste (alors que chez Pollock c'était le cubisme l'influence principale) : un art de symboles, de signification, que Greenberg apprécie beaucoup moins, parce qu'il le considère comme impur.
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Rothko commence au début des années 40 dans la veine surréaliste, version Miro ou Picasso : il cherche un nouveau langage graphique. Il dira de lui, Gottlieb ou Newman que c'étaient des « mythomakers ». En 1943 ils écrivent une sorte de manifeste qui explique déjà qu'ils ne s'intéressent pas à la gestualité, à l'expressivité de l'inconscient, mais qu'ils cherchent l'universel par la réduction au simple : « Nous sommes partisans d'une expression simple de la pensée complexe. Nous sommes pour la forme ample parce qu'elle a la force de ce qui est sans équivoque. Nous souhaitons réaffirmer la peinture plane. Nous sommes pour les formes plates parce qu'elles détruisent l'illusion et révèlent la vérité. »
On peut comprendre ce qu'il appelle la « vérité » de deux manières : soit c'est la vérité de la peinture, façon Greenberg (medium) ; soit c'est la vérité universelle, qui dépasse le visible, façon religieuse (...)
[...] D'autre part, la planéité remplie par des champs de couleur unie (d'où peinture color field) produit une sorte de rayonnement, d'aura ; Greenberg remarque justement que la couleur semble imprégnée dans la toile. On ne sait pas quelle couche vient devant, derrière : on est dans un espace texturé. Là encore, on a l'impression que quelque chose est recouvert et qu'on ne voit pas, et qui fait déborder les couleurs de leur champ . D'où une tendance chez Rothko au dépassement du tableau, à la peinture d'environnement . Il sera d'ailleurs chargé de décorer une chapelle à Houston dans les 60s . [...]
[...] Et alors, j'avais fait ces trous. ( ) je crois en Dieu, je fais un acte de foi Donc : Dieu c'est rien, mais c'est tout, non ? [...]
[...] Telle est l'essence de l'académisme. Il n'est pas vrai que l'on puisse faire une bonne pein‐ ture à propos de rien. Nous affirmons que le sujet est essentiel et que le seul sujet qui vaille la peine est le tragique et l'éternel. . Un autre peintre de New York, un peu plus jeune que Newman et Rothko, s'inscrit dans ce même courant, mais d'une façon encore plus radicale . Il s'agit d'Ad Reinhardt . Sa première inspiration est le cubisme, mais il découvre la calligraphie orientale dans les années Il va ensuite surtout s'intéresser à la philosophie chinoise, en particulier le Taoïsme : doctrine du vide, mais pas un vide qui est une absence de quelque chose. [...]
[...] Chez lui, la pureté de la forme, sa simplicité élémentaire, vise donc à retrouver le stade initial de la création . Il faut savoir que Newman avait des origines juives et que cela a pu jouer dans sa conception de la création artistique : l'interdit divin de toute figu‐ ration, la conception de la création comme passage du chaos à l'ordre ; à la fois la cherche d'une transcendance et l'impossibilité de représenter figurativement cette transcendance, d'où des tableaux vides du point de vue des figures, mais pleins d'une présence qui émane de la toile : présence de couleur . [...]
[...] Il écrit à propos des Kwakiutl, peuple précolombien : pour l'artiste de ce peuple, une forme était une chose vivante, qui traduisait un ensemble de pensées abstraites, c'était un moyen d'exprimer son effroi devant l'horreur de l'inconnu. La forme abstraite était donc réelle et non pas une représentation abstraite d'un fait visuel, qui présuppose une nature déjà connue. . Par là, on voit qu'il cherche à dépasser l'opposition formaliste abstrait/figuratif : la me abstraite incarne des émotions premières, fondamentales. Il cherche à dépasser si l'utilisation symbolique des formes : le cercle = l'infini. [...]
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