Godard, acteur, représentation, conception, incarnation
La sortie sur les écrans du petit soldat en 1960 marque la première collaboration de Godard avec celle qui deviendra sa femme l'année suivante, mais aussi son actrice fétiche jusqu'en 1967. Plus que de constituer le corpus de ce que la critique française a appelé les années Karina, les longs métrages Vivre sa vie (1962), Bande à part (1963), Alphaville (1965), Pierrot le fou (1965), Made in USA (1966) et Anticipation (épisode du plus vieux métier du monde 1966), dernier film où Karina viendra croiser l'objectif de Godard, rendent comptent de l'aspect particulièrement prolifique de ces années dans l'oeuvre de Godard, mais également de la multivalence de Karina à travers ses performances dans des rôles très divers. Si ces années de la carrière de Godard ont été qualifiées les années Karina, elle ne se limite pas, pour Godard comme pour Karina, à leur stricte collaboration. Godard va en effet réaliser le mépris, 2 ou 3 choses que je sais d'elle, Masculin féminin et une femme marié tandis que Karina jouera dans Chléo de 5 à 7 de Varda, la ronde de Vadim, l'étranger de Visconti et la religieuse de Rivette. Ces années révolues, Karina continuera de jouer la comédie dans des films aux réalisateurs aussi divers que prestigieux comme Fassbinder ou Deville. Néanmoins, le couple reste tellement gravé dans la mémoire collective, et s'inscrit dans la mythologie des couples de cinéma tels Ingrid Bergman et Rossellini, Dietrich-Von Sternberg ou encore Chaplin-Pickford.
Force est de constater que l'acteur de cinéma joue pendant ces années un rôle de premier plan dans les films de Godard, ce qui se perdra avec les années Mao et le cinéma militant, et c'est dans ce sens que nous développerons notre propos. Il sera donc dans un premier temps question d'analyser en quoi il est impossible de séparer chez Godard le travail des comédiens de la conception qu'il se fait de l'art cinématographique. C'est dans un souci de pertinence _ la question de la filiation de l'art Godardien aux autres arts (peinture, littérature) étant vaste et inépuisable _ que nous choisissons de délimiter notre propos à sa seule conception de l'art cinématographique. C'est ce même soucis qui nous conduit à réduire notre analyse de sa conception du jeu de l'acteur autour de deux pôles fondamentaux, sa conception du cinéma comme nécessairement inscrit dans une histoire _ dont il s'agira pour lui de réinventer _ et sa conception du cinéma comme étroitement lié à l'improvisation _ dont il conviendra d'approfondir le sens assigné à ce terme. Dans un second temps, et à la lumière de cette première partie, nous nous attacherons à dégager en quoi Karina représente, par delà la récurrence de sa présence, une figure particulière dans l'oeuvre de Godard à cette époque. Des citations tirées des années Karina, deuxième chapitre du tome I de Jean-Luc Godard par Godard, viendront justifier notre propos.
[...] On peut donc parler d'une certaine déconstruction du jeu chez les acteurs Godardiens, ce qui les amène à acquérir une liberté qui passe par la reconnaissance d'une présence médiatisée. Mais cette médiation du jeu ne s'opère pas uniquement à travers le corps, la voix ou le geste, mais également à travers une culture, une histoire du cinéma, de la littérature ou de la peinture. Ses personnages sont formés par une histoire, et ses acteurs en sont soient les types (entre autres femme fatale ou collégienne telle Karina dans, respectivement, une femme est une femme et bande à part, ou encore gangster tel Belmondo dans A bout de souffle), soient les figures emblématiques, qui sont à la fois inscrite dans une tradition picturale, littéraire ou cinématographique. [...]
[...] Belmondo en est l'exemple typique à travers sa performance novatrice de gangster drôle et sympathique dans A bout de souffle. Ce traitement particulier de l'acteur chez Godard ne vient néanmoins pas, à cette époque, le soumettre à la prégnance du concept, ni le réduire au profit de la technique. La référence n'est jamais une fin en soi mais correspond plus à une esthétique novatrice qui consiste au transit du singulier par le général. Leur symbolique évidente ne vient donc pas les étouffer, ni même les empêcher de réaliser des performances remarquables. [...]
[...] Le héros allait-il mourir ? Au début, je pensais faire le contraire de, par exemple The killing: le gangster réussissait et partait pour l'Italie avec son argent. Mais c'était une anti convention très conventionnelle, comme de faire réussir Nana dans Vivre sa vie et la montrer roulant en voiture. Je me suis dit à la fin que, puisqu'après tout mes ambitions avouées étaient celles de faire un film de gangster normal, je n'avais pas à contredire systématiquement le genre : le type devait mourir. [...]
[...] Je cours derrière quelqu'un et je lui demande quelque chose. (10). Ce qui est frappant, c'est que le maniérisme de Karina (se regarder dans la glace, se mettre du rouge, s'arranger sans relâche les cheveux, tirer sur son pull, etc.), qui ailleurs aurait pu produire l'effet de l'ennui ou d'une malhabile coquetterie, compose un portrait naturel et spontané, recomposé à chaque fois et contenu à chaque nouveau plan. La caméra la suit, patiente, toujours en mouvement, et une voix-off dirige la répartition des attributs de Véronika : "Le charme de Véronika, c'était elle-même" ; "Les étrangères qui parlent français c'est toujours joli", etc. [...]
[...] Dans le dernier segment de son numéro de striptease, la caméra se rapproche considérablement de son visage qui emplit tout le cadre. Un dispositif lumineux colore tour à tour, en rouge, en bleu, en vert, le visage et le fond de l'image. Godard se révèle ici - comme ailleurs - un très habile coloriste, puisque la couleur complémente la coloration des vers chantés et la générosité du jeu. Dominant parfaitement son pouvoir de séduction, Angela (Karina) décrit ses charmes et fait le même geste que dans Le Petit Soldat, redressant ses cheveux de chaque côtés de ses bras levés, mais révélant une expression qui rime parfaitement avec les paroles de la chanson je suis très belle") Le portrait ici, ne se présente pas sur le mode de la surprise comme le précédent, mais selon un axe du contrôle absolu : elle se sait belle et sait jouer avec cette beauté. [...]
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