Le corps, dans ce qu'il sous-entend de visible, de tangible, de palpable et de modelé, apparaît comme le point de départ de toute représentation. Il est le support incontournable de l'histoire et, par excellence, le lieu de l'identification. A double titre donc, il permet au spectateur d'accéder au récit.
Fort de ce statut, le corps figuratif est devenu la cible de toutes les atteintes : Corps troués, fragmentés, griffés, érodés, translucides, invisibles, irradiés, effacés… A l'instar de la peinture, lancée à la conquête de l'abstraction, le cinéma a rapidement cherché à vaincre l'hégémonie de la ressemblance, son privilège et sa croix, pour faire du corps le témoin, sensible et unique, d'une vie intérieure. Cadrage, montage, éclairage, composition, tous les paramètres esthétiques sont mis au service de la dé-figuration.
Quelques cinéastes ont ouvert les hostilités, faisant figure de hors-la-loi, enrichissant le septième art de sa remise en question. Explorant les limites de la représentation, ils ont montré que le cinéma était non seulement capable d'éluder la matière, mais aussi bien de la soustraire aux yeux du spectateur : Par la mise en scène, ces réalisateurs sont à même de suggérer une présence, introuvable dans l'image et pourtant, désignée par elle.
Cette étude porte sur l'abstraction des corps, ce qui inclut aussi bien leur effacement que leur escamotage. Comment un art d'essence figurative parvient-il à contourner les axiomes de son propre langage ? Quels sont les dispositifs de mise en scène permettant de dissoudre la matière, de rendre le vide signifiant, d'estomper le corps tout en conservant le personnage ? Quels sont les procédés visuels et sonores qui catalysent cette transformation ? Enfin, quelles en sont les implications ?
[...] Corps fantôme parmi les corps fantômes, il s'en distingue par sa nature inaltérable. Dénué de psychologie, d'intériorité, et donc d'identité propre, Thompson incarne la figure fonctionnelle par excellence. On connaît le canevas du film : Charles Forster Kane meurt à Xanadu, le somptueux palais qu'il s'est édifié, en prononçant un dernier mot énigmatique, "Rosebud". Armé de ce seul indice, le directeur des actualités cinématographiques News on the March charge l'un de ses journalistes, Thompson, de reconstituer la vie du disparu. [...]
[...] Diana, la médium, sera l'instrument de la vengeance, par lequel Violet franchira les frontières de l'au-delà pour venir accomplir dans ce monde-ci le meurtre du mari. La découverte de la robe rouge, accrochée au baldaquin, et de la prostituée endormie aux côtés de Charlie Mais le dénouement nous révèle une tout autre vérité. Avant de mourir, tué par Diana d'un coup de tisonnier, Charlie dévoile la véritable nature de Violet. "C'était incroyable. Elle en redemandait toujours. Fille de pasteur et insatiable". Il n'est le père d'aucun des sept enfants. [...]
[...] Quoi qu'il en soit, la méchanceté du personnage s'inscrit dans le schéma aujourd'hui classique d'une équivalence entre l'effacement du corps et celui de la conscience morale. Recréer la présence de Griffin, figurer son absence, c'est là le grand pari du film. Trois aspects de la mise en scène y contribuent activement : les effets spéciaux, le découpage et le traitement sonore. Les truquages, étonnants pour l'époque (le film date de 1933), sont l'œuvre de John P. Fulton. Ils utilisent les caches, les travelling matte, les surimpressions, les fils invisibles et la marche arrière. [...]
[...] Enfin, quelles en sont les implications ? Le corps fantôme ne peut être analysé qu'à condition de prendre en compte ses causes, ses effets et sa place dans la fiction. Pour répondre à cette recherche, j'étudierai donc un certain nombre de films empruntés à différentes époques de l'histoire du cinéma, grands classiques ou films moins connus, parfois tombés dans l'oubli. Les analyses seront accompagnées d'images, qui permettront à chaque fois d'illustrer mes propos. Pour obtenir ces clichés, j'ai photographié mon téléviseur avec un appareil photo numérique, retravaillant les images sous Photoshop pour essayer de respecter au mieux les intentions de cadre et de lumière Le résultat réclame une certaine indulgence. [...]
[...] L'ubiquité ne peut être mieux ressentie. J'ajouterais quelques commentaires à propos de la surimpression décrite plus haut, car elle contribue, par sa forme métonymique de type contenant / contenu, à l'ubiquité de Mabuse, mais aussi à la menace qu'il représente. Pour les remarques qui suivent, je me fonderais sur les enseignements de Marc Vernet concernant les surimpressions. Le théoricien remarque, à juste titre, que "la superposition de deux images perspectives les écrase toutes les deux pour les réduire à une bidimensionnalité unique, où prévaut un jeu de découpes par lequel le fond remonte à la surface, celle-ci bue par celui-là." (Marc Vernet, Figures de l'absence). [...]
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