On pourrait comparer le premier plan d'un film à la première phrase d'un roman : selon bien des auteurs, c'est la plus importante. Cependant, le premier plan est dans beaucoup de cas – on aura l'occasion de le voir – un plan-séquence, et on pourrait alors plus le rapprocher d'une préface ou d'un prologue, si l'on veut rester dans la comparaison littéraire. En effet, ces deux sortes de commencement ont des visées assez différentes : l'une est souvent matricielle du livre (ou du film), l'autre commence directement la narration (présentation ou action). Il faut ici s'interroger sur la spécificité du premier plan : est-il soigné comme l'est une première phrase, ou fait-il partie d'une « première séquence » dont il n'est qu'un élément qui ne doit se voir que par rapport aux autres plans?
Pour ce faire, il convient de bien déterminer la place du premier plan, qui nous fera nous interroger sur ce qu'est le premier plan, qui peut parfois être ambigu ; on étudiera ensuite le rapport du premier plan au film qu'il ouvre: l'on verra alors ses différentes fonctions, de situation, de commencement de l'action ou de commentaire du film entier ; enfin, on se posera la question de la spécificité et de l'originalité du premier plan: doit-il être pris comme les autres plans ou possède-t-il une valeur intrinsèque qui permet au spectateur de le considérer comme une entité « absolue » (alors que le propre d'un plan, au cinéma, est d'être relatif, puisqu'il est intégré dans une séquence et doit donc être vu par rapport aux plans qui le précèdent et qui le suivent).
[...] En réalité, ce sont deux plans, mais faut-il les séparer alors que le cinéaste a conçu son montage pour que l'on n'en voie qu'un ? Et si on les sépare, lequel devient le véritable premier plan ? On voit donc qu'il peut y avoir une ambiguïté quant à la définition du terme de plan ambiguïté qui n'a lieu que pour le premier plan, puisque c'est souvent à l'ouverture que l'on utilise ces procédés, beaucoup plus qu'au milieu du film Le Procès : apologue (Parabole des Portes de la Loi) en épingles. Volonté de ne pas faire un apologue filmique alors que c'est possible. [...]
[...] Le premier vrai plan alors, est celui d'Anthony Perkins qui se réveille : on entre dans l'action, dans la narration ; ces deux plans, transposés dans la littérature, deviendraient l'un la préface, l'autre la première phrase du livre. Cependant, la rupture entre les deux n'est pas si évidente, puisque le fondu au noir s'ouvre sur un flou, qui pourrait représenter la concrétisation de la fable, ou alors le fait que cette fable ait été rêvée 2. Le premier plan et le film situer le film 1. [...]
[...] Si le spectateur avait bien su regarder, il aurait pu deviner qui était Tyler : il n'y a rien d'autre en dehors du cerveau de Jack, dit le générique, qui dit aussi la difficulté de séparer le cerveau de ses représentations, puisque le plan ne semble pas subir de rupture pour aller jusqu'à celui du revolver dans la bouche (tenu par Tyler) plan qui est déjà un fantasme du personnage Le premier plan et le plan le premier plan, un plan absolu ? Le premier plan semble, relativement à ce qu'on a dit, pouvoir être perçu comme hors contexte, ne faisant parfois presque pas véritablement partie du film, puisque parfois séparé du corps du film par un titre ou un générique. [...]
[...] Ainsi, le premier plan, lorsqu'il se confond avec le générique, peut tout de même être plus proche de l'action du film (comme dans Le voleur de bicyclette) que du générique ; certains plans génériques ont plus de rapport direct avec le titre du film, qu'ils illustrent, qu'avec son action : c'est le cas dans Les parapluies de Cherbourg : le plan s'ouvre sur une vue de Cherbourg, panoramique vertical vers le bas qui se transforme en plan zénithal sur la rue : on voit dans gens passer avec des parapluies, effectuant des chorégraphies abstraites (se croisent en verticale, en diagonale annonçant le ton (comédie musicale) et la forme (multiplication de couleurs) du film ; enfin, mouvement de caméra symétrique à celui du début, panoramique qui revient sur la vue de Cherbourg. La boucle constitue le plan comme une séquence et comme une entité détachée du reste, et qui illustre en effet plus le titre du film (on voit Cherbourg et ses parapluies) que toute l'action qui s'ensuit. un commentaire du film 1. Citizen Kane, l'avertissement : s'ouvre par la vue d'une grille : No trespassing + travelling vertical vers le haut, comme si la caméra allait escalader la grille et donc braver l'interdiction. [...]
[...] Cette leçon, il nous l'apprend dès le premier plan, qui devient, comme Fight Club, une clé de lecture du film, mais aussi du cinéma tout entier. Conclusion Ainsi, si les cinéastes apportent un soin tout particulier au premier plan de leurs films, celui-ci ne doit pourtant pas être pris isolément: qu'il débute l'action du film (dans quel cas il s'insère dans une séquence d'ouverture), qu'il la présente (mais il y a rarement un seul plan de présentation) ou qu'il soit un commentaire du film, il doit toujours être mis en rapport avec la séquence dans laquelle il s'insère (s'il y a lieu), ou avec le film tout entier : un plan-commentaire n'a d'ailleurs pas de sens pris isolément, si l'on ne considère pas le film qu'il commente. [...]
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