Depuis quelques années, un regain d'intérêt artistique gagne le rebut, dans lequel se situe Agnès Varda et son documentaire poétique Les Glaneurs et La Glaneuse. François Dagognet souligne l'importance de la création plasticienne autour du déchet dans son essai Des détritus, des déchets, de l'abject. Une philosophie écologique, paru en 1997, confirme cette tendance artistique envers la matière bannie et rejetée. Varda ne s'arrête pas à l'illustration du déchet ou de la moisissure avec son film, puisqu'il nous parle également de l'humain, rejeté, mis à l'écart, et offre ainsi une réflexion sur le rebut comme passage du temps, proposition de retour, et position sociale, spatiale et corporelle autour de l'abjection qui rejoint Dagognet.
[...] Le cinéma de Varda s'interrogeant sur le rejeté, la chose vile et bannie, déborde vers l'humain. Déjà, le Platonisme considérait que le contact avec la matière est une humiliation, et, comme si le rebut contaminait la peau, l'homme en contact avec le détritus se trouvait banni de la société ; Dagognet relève cette faible estime envers ceux qui touchent les reliquats, citant l'exemple des éboueurs, que Varda filmera à son tour au milieu des restes des marchés, ramassant les ordures délaissées. [...]
[...] Et le tas déplaît, précise Dagognet, car il ne possède que l'apparence de l'être ; il n'est pas permanent puisqu'on peut retrancher, ajouter des particules, mais sans le modifier pour autant. Tandis que l'être se détermine par sa permanence. Ces deux exemples sont de François Dagognet. Vincent Amiel, dans Le corps au cinéma, Keaton, Cassavetes, Bresson, PUF, Paris soulignait ce devenir-signe du corps comme vecteur du récit, désincarné et détaché de sa corporéité que quelques rares cinéastes font encore vibrer. [...]
[...] Au cinéma aussi, il faut de la chair ferme, surtout dans la représentation du nu ; et pourtant, Varda, dès 1984, n'hésitait pas à filmer le corps nu d'une vieille femme dans son court-métrage Sept pièces, cuisine, salle de bains, à saisir, assise au milieu de plumes volantes. Car l'artiste, encore une fois, est celui qui peut donner à voir la beauté de la matière, celle- là même que notre culture imprégnée de Platonisme s'obstine à ne pas vouloir voir. Ces corps abîmés sont comme les déchets, inutiles, laids, déformés, et abjects. [...]
[...] Ces êtres, ces choses, sont en effet tenus à l'écart, hors de la vue, hors du cadre. Leur seul champ n'est pas cinématographique, mais celui où certains, pourtant, vont venir glaner quelques patates, quelques images. Ce travail sur la vieillesse amie joliment et poétiquement impudique, que Varda nous offre d'après son propre corps, pose la question du temps, et avec lui du retour, et du hasard. Car le corps comme matière subit l'épreuve du temps, qui va faire de la chair ferme de la jeunesse celle flétrie et abject de la vieillesse. [...]
[...] La chair ferme de la jolie Cléo va ainsi peut-être être malade, pourrir, mourir. Mais le temps de Varda n'est pas qu'un temps linéaire, il est aussi construit sur le retour, qui fait revenir la cinéaste sur les lieux des Glaneurs et La Glaneuse, retourner à la rencontre des anciens protagonistes et de quelques nouveaux acteurs du glanage, Deux Ans après les premiers faits, ou dans la rue où fut tourné Daguerréotype, pour découvrir ce que le temps et l'homme ont changé dans ce morceau de la rue Daguerre. [...]
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